Une guerre contre les drogues ou une guerre contre les drogués ?

La prohibition a une longue histoire derrière elle. Elle tient son existence de manœuvres politiques inacceptables, et rien aujourd’hui ne permet de la justifier. C’est une politique présentée comme une nécessité sanitaire, qui fait pourtant plus de mal que de bien Cohen, A., Vakharia, S. P., Netherland, J., & Frederique, K. (2022). How the war on drugs impacts social determinants of health beyond the criminal legal system. Annals of medicine, 54(1), 2024-2038. doi:10.1080/07853890. 2022.2100926 aux individus et à la société.

Tout ce que nous voyons dans la sphère publique, ce sont les victimes. C’est comme si notre seule image des buveurs était celle d’un sans-abri allongé dans un caniveau en train de boire du gin pur. Cette impression est ensuite renforcée par toute la puissance de l’État. Par exemple, en 1995, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mené une vaste étude scientifique sur la cocaïne et ses effets. Elle a découvert que “l’usage expérimental et occasionnel est de loin le type d’usage le plus courant, et que l’usage compulsif/dysfonctionnel est beaucoup moins fréquent”. Le gouvernement américain a menacé de couper le financement de l’OMS s’il ne supprimait pas le rapport. Il n’a jamais été publié ; nous savons ce qu’il dit uniquement parce qu’il a fait l’objet d’une fuite.

Cet extrait du livre de Johann Hari Hari, J. (2015). Chasing the scream: The search for the truth about addiction. Bloomsbury Publishing, p. 147-148. datant un peu et les sources étant encore antérieures à celui-ci, le seul lien qu’il m’a été d’abord possible de retrouver est celui-ci. Je n’ai donc pas pu voir tout de suite cette fameuse étude de l’OMS. Sur Reddit, il y a 13 ans, cette information n’a semble-t-il pas été débunkée et bien qu’elle n’ait pas plu à tout le monde, elle ne paraissait alors pas fausse. Après avoir cherché plusieurs heures le fameux papier, puisque tous les vieux liens étaient morts, j’ai fini par demander sur r/AskDrugs où une âme charitable a su m’orienter vers ce que je cherchais. Un article de journal m’a permis de trouver le papier “banni”. Sûrement une des sources les plus fastidieuses à trouver, mais indispensable pour comprendre toute la logique de la guerre contre la drogue, qui n’est finalement qu’une guerre contre les consommateurs de drogues. Laissez-moi vous partager un extrait très parlant Journal TNI Source (7) dans le passage du journal : WHA48/1995/REC/3. Forty-Eighth World Health Assembly, Summery Records and Reports of Committees, Geneva 1-12 May 1995, page 229 du rapport. .

Presque dès que le dossier d’information a commencé à circuler dans les couloirs de l’ONU, les responsables américains ont pesé de tout leur poids pour empêcher la publication de l’étude. “Le gouvernement des États-Unis a été surpris de constater que le dossier semblait défendre les utilisations positives de la cocaïne”, a répondu Neil Boyer, le représentant des États-Unis à la 48e réunion de l’Assemblée mondiale de la santé à Genève. Il a déclaré que le programme de l’OMS sur la toxicomanie allait “dans la mauvaise direction” et “sapait les efforts de la communauté internationale pour éradiquer la culture et la production illégales de coca”. Il a dénoncé “les preuves du soutien de l’OMS aux programmes de réduction des risques et l’association antérieure de l’OMS avec des organisations qui soutenaient la légalisation des drogues.”

Puis vint une menace claire : “Si les activités de l’OMS relatives aux drogues ne parviennent pas à renforcer les approches éprouvées de lutte contre la drogue, les fonds destinés aux programmes concernés devraient être réduits”. (7) Elle eut l’effet escompté dans la mesure où les résultats du projet sur la cocaïne ne furent jamais publiés. Le dossier d’information avait été une publication prématurée des résultats sommaires, avant que les résultats complets de la recherche ne soient passés par le processus habituel de révision et d’édition approfondies. Cependant, en raison de l’agitation, aucun accord n’a pu être trouvé sur la liste des pairs examinateurs, de sorte que le processus n’a jamais été achevé. Des années de travail et des centaines de pages de faits et d’informations précieux sur la coca et la cocaïne par plus de 40 chercheurs ont, en fait, été “brûlées”.

Mais alors qu’est-ce qui pousse une telle prohibition si des études sont rejetées dès lors qu’elles pourraient la faire évoluer en faveur des consommateurs et consommatrices ?

Initialement déclarée par Richard Nixon en 1973, Ronald Reagan a réengagé les États-Unis dans la guerre contre la drogue en 1982 et l’a intensifiée à l’aide de multiples stratégies, notamment en augmentant les dépenses consacrées à la lutte contre la drogue, en créant un groupe de travail fédéral sur la drogue et en contribuant à promouvoir une culture qui diabolise la consommation de drogue et les toxicomanes.

On attribue souvent des propos à John Ehrlichman, ancien conseiller de Richard Nixon :

La campagne de Nixon en 1968, et le mandat de Nixon ensuite à la Maison Blanche, avait deux ennemis : la gauche pacifiste et les noirs. Vous comprenez ce que je dis ? Nous savions que nous ne pouvions pas rendre illégal le fait d’être contre la guerre ou d’être noir, mais en faisant en sorte que le public associe les hippies avec le cannabis et les noirs avec l’héroïne, et en criminalisant les deux très lourdement, nous pouvions déchirer ces communautés. Nous pouvions arrêter leurs leaders, faire des descentes dans leur maison, interrompre leurs meetings, et les calomnier jour après jour aux journaux télé du soir. Savions nous que nous mentions sur les drogues ? Bien sûr.

En réalité, on ne sait pas s’il a vraiment dit ça. Pour autant, il est évident aujourd’hui que les conséquences de la War on Drugs ont surtout pesé sur les Noirs, comme mis en évidence en 2012 Lynch, M. (2012). Theorizing the role of the ‘war on drugs’ in US punishment. Theoretical Criminology, 16(2), 175-199. doi: 10.1177/1362480612441700 par la criminologue Mona Lynch.

Ces différences de traitement ne sauraient être expliquées par une essence criminelle chez les Noirs. Ils ne vendent ni ne consomment pas plus que les Blancs Rosenberg, A., Groves, A. K., & Blankenship, K. M. (2017). Comparing Black and White drug offenders: Implications for racial disparities in criminal justice and reentry policy and programming. Journal of drug issues, 47(1), 132-142. doi: 10.1177/0022042616678614 . Il y a un biais important dans les contrôles et dans la vision de la police dès qu’il s’agit de repérer de potentiels délinquants et la War on Drugs n’a fait qu’accentuer les conséquences de ce biais xénophobe.

Le journaliste Tom Feiling a écrit dans son livre Feiling, T. (2009). The candy machine: How cocaine took over the world. Penguin UK, p. 67. que le blâme est au cœur de la War on Drugs. Et je pense qu’il a parfaitement raison encore aujourd’hui, et que cela a toujours été le cas. Mais je ne pense pas que ce soit l’objectif principal. Comme le laisse entendre la citation de John Ehrlichman, combattre les drogues et les drogués est plus un moyen qu’une fin en soi. Agiter l’épouvantail de la toxicomanie, de l’addiction dès le premier joint, du LSD qui rend tout le monde schizophrène, c’est une stratégie politique.

De la même manière que le racisme est un carburant à de nombreuses politiques, la toxicophobie en est un autre, et le réel objectif des politiciens n’est pas – à mon humble avis – simplement de la méchanceté et une haine profonde d’une partie de la population. C’est surtout un moyen de gagner du pouvoir, et de le garder le plus longtemps possible.

Et pendant que les médias, les politiciens, et des citoyens lambda alimentent les clichés et les idées nauséabondes sur le sujet des drogues, c’est du temps et de l’énergie perdus pour des sujets bien plus importants. La gestion des biens communs, l’évolution du climat, les réelles raisons des catastrophes sociales dans des pays moins chanceux que le nôtre…

Criminaliser l’usage de drogues est un outil politique parmi d’autres pour éviter de penser à long terme. C’est un outil qui est ressorti régulièrement pour déployer des écrans de fumée. C’est bien pour cela qu’il n’y a aucune raison que les défenseurs de la War on Drugs écoutent les scientifiques qui montrent tous les dégâts causés par cette politique.

Cette politique est malheureusement bel et bien alimentée par le racisme et la propension au jugement et au stigma de nombreux individus. Il est donc important de lutter contre les discriminations, et il nous faut éduquer les futures générations à un meilleur esprit critique afin de favoriser une transformation de la société qui aille dans le sens de la politique basée sur des preuves, et non plus des émotions créées de toutes pièces. Le consentement a été fabriqué durant de nombreuses années, et il nous appartient désormais de le déconstruire.

Les études scientifiques et les livres utilisés dans cet article témoignent particulièrement de la situation américaine. Même si leur politique nous a longtemps influencés, nous ne les avons pas attendus pour créer un cadre parmi les plus répressifs d’Europe Marchant, A. (2018). L’Impossible prohibition: Drogues et toxicomanie en France 1945-2017. Perrin. en 1970, après le décès d’une jeune de 17 ans à Bandol en 1969.

Bibliographie

Cohen, A., Vakharia, S. P., Netherland, J., Frederique, K. (2022). How the war on drugs impacts social determinants of health beyond the criminal legal system. Annals of medicine, 54(1), 2024-2038.

Lynch, M. (2012). Theorizing the role of the ‘war on drugs’ in US punishment. Theoretical Criminology, 16(2), 175-199.

Rosenberg, A., Groves, A. K., Blankenship, K. M. (2017). Comparing Black and White drug offenders: Implications for racial disparities in criminal justice and reentry policy and programming. Journal of drug issues, 47(1), 132-142.

Hari, J. (2015). Chasing the scream: The search for the truth about addiction. Bloomsbury Publishing.

Journal TNI
Source (7) dans le passage du journal : WHA48/1995/REC/3. Forty-Eighth World Health Assembly, Summery Records and Reports of Committees, Geneva 1-12 May 1995

Feiling, T. (2009). The candy machine: How cocaine took over the world. Penguin UK.

Marchant, A. (2018). L’Impossible prohibition: Drogues et toxicomanie en France 1945-2017. Perrin.