Drogues : risques et dangers !

Est-ce que vous connaissez l’equasy, cette drogue très présente au Royaume-Uni et un peu en France ? C’est une drogue qui agit en provoquant une libération d’adrénaline et d’endorphines et qui est utilisée par des millions de personnes dans le monde. Elle peut provoquer des lésions cérébrales irréversibles, et 10 personnes en moyenne en meurent chaque année au Royaume-Uni, y compris de jeunes enfants et adolescents ! Et beaucoup plus encore se blessent à cause de cette drogue.

Il est estimé qu’un problème grave se produit toutes les 350 fois où elle est utilisée, et que ces problèmes sont imprévisibles, bien que plus probables chez les utilisateurs expérimentés qui prennent plus de risques avec elle. Elle est également responsable de plus de 100 accidents de la route par an au Royaume-Uni, souvent mortels. L’equasy conduit même à des rassemblements d’utilisateurs qui sont souvent associés à des groupes ayant un comportement violent, les images qui vont suivre en témoignent.

Le syndrome d'addiction équin, ou equasy.

Bon, en réalité on ne parle pas d’un psychotrope, mais d’un concept sarcastique Relativiser les dangers des drogues, le pari risqué de David Nutt. SWAPS 104 inventé par David Nutt pour soulever l’absurdité de la législation britannique en vigueur. Il a publié un papier qui traite Nutt, D. J. (2009). Equasy—an overlooked addiction with implications for the current debate on drug harms. Journal of Psychopharmacology, 23(1), 3-5. doi.org/10.1177/0269881108099672 du syndrome d’addiction équin, ou equine addiction syndrome en anglais, l’equasy. Il parle dans ce papier de tout ce qui se rapport à l’équitation, comme la chasse à cour.

Et puisque le fait d’utiliser des chiffres et statistiques liés aux dangers des drogues est important dans tout argumentaire « pour » ou « contre », il nous partage de vrais chiffres et données cliniques liées à l’équitation. Et rapportés à des substances comme la MDMA, la logique prohibitionniste et répressive voudrait qu’on interdise sur le champ l’équitation !

« [...] la plupart des gens seront surpris que l’équitation soit une activité si dangereuse. Les données sont assez effrayantes : des gens meurent, sont blessés à vie après une chute, subissent des fractures du cou et de la colonne vertébrale qui causent des dommages irréversibles. Bien que moins visible, une blessure à la tête est quatre fois plus fréquente et est la cause de décès la plus courante.
Aux États-Unis, environ 11 500 cas de blessures traumatiques à la tête par an sont dus à l’équitation, et nous pouvons supposer un nombre équivalent de cas au Royaume-Uni. Des changements de personnalité, des fonctions moteur réduites et même une manifestation précoce de la maladie de Parkinson sont des conséquences reconnues, particulièrement dans les cabinets de campagne où l’équitation est très pratiquée. Dans certains comtés ruraux, il a été estimé que l’équitation est responsable de plus de blessures à la tête que les accidents de la route. »

Les chiffres liés à l’équitation en France sont très opaques et difficiles d’accès, mais des blogs spécialisés et a priori favorables à la pratique de l’équitation nous partagent différentes données intéressantes. Plusieurs enquêtes montreraient que les accidents d’équitation représentent en France environ 4% des accidents de sport soit 6000 personnes par an et 7 décès annuel en moyenne. Les accidents d’équitation seraient parmi les plus graves avec 30% de fractures et 20% d’hospitalisation.

https://www.wedou.fr/autres-articles/assurance-emprunteur-sport-equestre
https://www.chevalmag.com/divers/accidentologie-de-l-equitation/

Aucune source exploitable n’est partagée cependant dans ces différents blogs, ces chiffres sont donc à considérer avec précaution. Un autre biais important est celui que les accidents de la vie courante recensés ne le sont que dans certains centres hospitaliers partenaires de l’EPAC, et que les décès sont surtout recensés à partir des médias qui en font état.

Hôpitaux partenaires EPAC
Résultats synthétiques EPAC 2017 - cliquez sur l'image pour aller à la source

C’est sans doute en partie pour ça que le bulletin épidémiologique de Santé Publique France de 2015 Thelot B. et. al, Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, 2015, n°. 30-31, p. 580-9 Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, 2015 conclue que les conséquences de l’équitation sont sous-estimées.

Comparaison equasy-ecstasy
Nutt, D. J. (2009). Equasy—an overlooked addiction with implications for the current debate on drug harms. Journal of Psychopharmacology, 23(1), 3-5.

Mais interdire l’équitation parce qu’il y a quelques accidents chaque année, ça paraît absurde, non ? On est a priori toutes et tous d’accord pour garantir le droit à n’importe qui de monter à cheval, je pense ne rien affirmer de trop clivant ici.

Mais donc pourquoi on perçoit les risques liés à la MDMA, qui sont a priori plus faibles que ceux de l’équitation, comme plus effrayants et inquiétants, au point de l’interdire et de prévoir des peines de prison et des amendes pour ceux qui en vendent ou même ceux qui en consomment ?

Qu’est-ce qui fait qu’un risque lié à une pratique sportive serait plus acceptable qu’un risque lié à la consommation d’une drogue récréative ? 

Attention à ne pas me faire dire ce que je n’ai pas dit ! Faire du sport c’est très bien. Mais présenter ça comme quelque chose de fondamentalement mieux que les drogues, sans mentionner une fois l’addiction au sport Guo, S., Kamionka, A., Xue, Q., Izydorczyk, B., Lipowska, M., & Lipowski, M. (2025). Body image and risk of exercise addiction in adults: A systematic review and meta-analysis. Journal of Behavioral Addictions. doi.org/10.1556/2006.2024.00085 et les risques liés à la pratique, c’est fragile et ça manque d’objectivité. D’autant plus qu’on a aujourd’hui la possibilité de comparer un peu les choses et de constater d’abord que chaque drogue est à évaluer séparément des autres, pareil pour le sport d’ailleurs.

De nombreux sports sont loin d’être sans danger, mais on accepte le risque et cela ne suscite aucun débat public particulier.

Accidents de sports de combat chez les 10‑18 ans et commotions cérébrales

Santé Publique France nous partage une étude dont les résultats sont :

« Parmi les 331 838 passages aux urgences pour accidents de la vie courante (AcVC) enregistrés dans les dix hôpitaux de la base EPAC entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2018, 81 240 concernaient des enfants âgés entre 10 et 18 ans. Parmi ceux‑ci, la pratique d’un sport de combat était à l’origine de 1 340 passages. Ainsi, 16/1 000 passages aux urgences pour AcVC chez les 10‑18 ans étaient liés à un sport de combat. »

Rigou Annabel, Paget Louis-Marie, Beltzer Nathalie, Accidents de sports de combat chez les 10-18 ans et commotions cérébrales : analyse des données de l’enquête permanente sur les accidents de la vie courante (epac) 2016-2018. Réponse à la saisine de la DGS du 13 décembre 2019. – 2020, 12 pages.

Le judo en France, pareil qu'au Japon ?

Fort heureusement, en France on fait plus attention à nos jeunes et aux pratiquant.es en général. La fédération française de judo améliore chaque année la prévention des blessures et modifie régulièrement ses règles pour limiter au maximum la gravité des accidents.

On est d’ailleurs passé d’1,4 blessures pour 1000 judokas de 1993 à 2002, à 0,6 pour 1000 de 2003 à 2013, ce qui laisse penser que l’évolution des règles, et l’évaluation des blessures et de la raison de leur survenue, a permis de diviser par 2 les blessures.

C’est un exemple intéressant de réduction des risques ! Et d’ailleurs, si vous avez l’occasion d’essayer le judo, n’hésitez pas, c’est une discipline avec des valeurs vraiment super et ça maintient en forme ! C’est inclusif pour les personnes en situation de handicap, et les femmes ont toute leur place dans cet art martial.

Menard, S., Winkler, L., & Frey, A. (2024). La prise en charge de la commotion cérébrale au Judo/Jujitsu/Ne Waza: recommandations de la commission médicale de la Fédération Française de Judo. Journal de Traumatologie du Sport, 41(3), 251-258.

Frey, A., Lambert, C., Vesselle, B., Rousseau, R., Dor, F., Marquet, L. A., … & Crema, M. D. (2019). Epidemiology of judo-related injuries in 21 seasons of competitions in France: a prospective study of relevant traumatic injuries. Orthopaedic journal of sports medicine, 7(5), 2325967119847470.

Et contrairement à ce que ces athlètes sous-entendent, il y a aussi une une pression sociale à pratiquer du sport Brewster, M. E., Sandil, R., DeBlaere, C., Breslow, A., & Eklund, A. (2017). “Do you even lift, bro?” Objectification, minority stress, and body image concerns for sexual minority men. Psychology of Men & Masculinity, 18(2), 87. https://doi.org/10.1037/men0000043 , si ce n’est plus que pour la consommation de drogues, justement parce que le sport profite d’une image extrêmement positive contrairement aux psychotropes et que ne pas en faire attire de nombreuses critiques.

Santé Publique France a montré qu’en 2017-2018 810 décès avaient eu lieu suite à une pratique sportive, dont 303 étaient liés à une pratique de sports de montagne.

Comparaisons sports-psychotropes
Comparaison pédagogique proposée par dapihkal. Sources : SANTÉ PUBLIQUE FRANCE - Décès traumatiques en pratique sportive en France métropolitaine en 2017 et 2018 - Rapport d’étude ; OFDT – Drogues et addictions, chiffres clés 2025 ; Enquête DRAMES 2019

L’étude nous indique qu’environ 400 personnes seraient décédées Pédrono Gaëlle, Thélot Bertrand, Beltzer Nathalie, Décès traumatiques en pratique sportive en France métropolitaine en 2017 et 2018. Résultats d’un recueil de données à partir des médias accessibles sur Internet. Résultats 2017-2018 suite à une activité sportive sur chacune de ces années. Les auteurs de l’étude précisent cependant que ces chiffres ne tiennent pas comptent des morts subites des sportifs, caractérisées par des crises cardiaques, qui représentent 1000 décès chaque année Marijon, E., Karam, N., Anys, S., Narayanan, K., Beganton, F., Bougouin, W., & Jouven, X. (2021). Prévention de la mort subite du sportif: état des lieux. Archives des Maladies du Coeur et des Vaisseaux-Pratique, 2021(299), 2-9. doi.org/10.1016/j.amcp.2021.04.003 . Nous avons donc en France environ 1400 personnes qui décèdent chaque année suite à la pratique d’un sport.

Doit-on pour autant interdire les sports de combat, de montagne ou  même les sports aquatiques ? Évidemment que non. Pour autant, le deux poids deux mesures paraît particulièrement injustifié et seule une position uniquement morale semble imposer cette vision des choses.

Faire du sport, ce serait forcément mieux que consommer un psychotrope, et on aurait rien à redire à ça ?

Si vous étiez prêt à militer contre l’equasy puis que vous vous êtes ravisés en voyant qu’il s’agit d’équitation, alors vous touchez du doigt l’élément central qui dicte vos pensées vis-à-vis des drogues, à savoir une posture morale et émotionnelle.

Et si on suivait la logique prohibitionniste et répressive jusqu’au bout, qui est basée sur une morale archaïque et bien trop émotive, on réfléchirait sérieusement à limiter l’accès à de nombreux sports, voire à les interdire purement et simplement avec comme seul prétexte de protéger les gens d’eux-mêmes.

Mais dans cet article on ne va pas aller plus loin pour parler de la prohibition en vigueur, on va surtout se concentrer sur comment on perçoit les risques liés aux drogues, à leurs dangers, et comment on peut rationaliser tout ça.

Comment évaluer la dangerosité des drogues ?

Comment on fait pour savoir si une drogue est vraiment dangereuse ? Et à quel point elle peut l’être ? Comment trouver ces informations dans un monde où les paniques morales forgent des politiques publiques et où les scientifiques, quelles que soient leurs disciplines, ne sont que peu ou pas écoutés ?

En 2007 est publiée une étude Nutt, D., King, L. A., Saulsbury, W., & Blakemore, C. (2007). Development of a rational scale to assess the harm of drugs of potential misuse. the Lancet, 369(9566), 1047-1053. DOI: 10.1016/S0140-6736(07)60464-4 ayant pour objectif d’évaluer les conséquences sanitaires de nombreuses drogues circulant au Royaume-Uni. L’idée derrière était de pouvoir ensuite proposer une politique publique adaptée et basée sur des faits, et non pas sur des croyances et des peurs fabriquées par les médias et les discours politiques réactionnaires.

On y retrouve une classification sous forme de graphique qui permet de voir en un coup d’œil que la dangerosité associée à chaque drogue ne correspond pas vraiment à la classification légale en vigueur au Royaume-Uni.

Echelle de dangerosité établie - Nutt, D., King, L. A., Saulsbury, W., & Blakemore, C. (2007). Development of a rational scale to assess the harm of drugs of potential misuse. the Lancet, 369(9566), 1047-1053.
Classification des drogues au Royaume-Uni.

On y voit par exemple que le LSD est dans la classe jugée la plus dangereuse, mais l’étude la place plutôt bas sur l’échelle de dangerosité établie, tandis que l’alcool est sans classe, donc pleinement autorisé, et se trouve plutôt dans le haut du panier. Dans l’étude on peut voir 9 critères, établis par un groupe de 29 psychiatres disposant d’une expertise dans l’addiction, avec un score de 0 à 3, 0 étant un risque nul, 3 un risque extrême. 

Critères évalués pour chacune des drogues - Nutt, D., King, L. A., Saulsbury, W., & Blakemore, C. (2007). Development of a rational scale to assess the harm of drugs of potential misuse. the Lancet, 369(9566), 1047-1053.

Ensuite, un autre groupe avec une plus grande diversité d’experts s’est vu chargé de noter chaque drogue étudiée sur chacun des critères. Un travail long et difficile, avec plusieurs réunions, mais qui a porté ses fruits et a permis de croiser les expériences et le regard d’experts en chimie et pharmacologie, mais aussi de policiers et de magistrats.

En plus de l’avis des experts, la littérature scientifique sur le sujet leur a été donnée pour compléter leurs connaissances sur les différentes drogues à classer dans cette étude. C’est une étude vraiment intéressante dans sa méthodologie, au-delà du résultat et du sujet abordé.

Cette première étude menée par David Nutt a enclenché une série d’autres papiers dans plusieurs pays, qu’on appelle des analyses décisionnelles multi-critères (MCDA). Elles permettent d’aborder des sujets complexes où il est important de considérer plusieurs objets avec des variables similaires qu’on peut alors comparer.

C’est ce qui permet de mettre dans une même échelle de dangerosité autant de drogues différentes, pour les comparer entre elles. Mais on peut aussi imaginer comparer des drogues avec d’autres pratiques à risque afin d’avoir un sujet de réflexion intéressant, mais pour l’instant cette idée restera de la science fiction parce qu’aucun travail n’est mené en ce sens.

Analyse décisionnelle multicritères (MCDA) pour évaluer et apprécier les réponses politiques du gouvernement à la consommation non médicale d'héroïne

« Prenons l’exemple de deux consommateurs d’héroïne par injection : le premier commet de nombreux délits pour financer sa dépendance illicite, consommant de l’héroïne « de rue » (dont la pureté et la puissance sont inconnues) avec des seringues sales, parfois partagées, dans des environnements insalubres et non surveillés. Il se procure sa drogue auprès d’un réseau criminel de trafic qui peut être relié à la production illicite en Afghanistan. Il est séropositif, atteint d’hépatite C et a un casier judiciaire bien rempli. Le second consomme de la diamorphine pharmaceutique fabriquée légalement et prescrite, dont la concentration et la pureté sont connues, dans un cadre clinique supervisé, avec du matériel d’injection propre. Il n’y a aucun lien avec des États producteurs de drogue défaillants ; aucune criminalité, aucun profit ou violence à aucun stade de la production, de l’approvisionnement ou de la consommation de la drogue ; aucun risque de transmission de maladies par le sang ; un risque quasi nul de décès par overdose ; et aucune infraction pour financer la consommation. »

Rolles, S., Schlag, A. K., Measham, F., Phillips, L., Nutt, D., Bergsvik, D., & Rogeberg, O. (2021). A multi criteria decision analysis (MCDA) for evaluating and appraising government policy responses to non medical heroin use. International Journal of Drug Policy, 91, 103180.

Élaboration d'une nouvelle politique nationale en matière de MDMA : résultats d'une analyse décisionnelle multicritères et multidécisionnelle

Une équipe néerlandaise s’est prêtée à l’exercice de proposer un modèle optimal de légalisation de la MDMA aux Pays-Bas.

van Amsterdam, J., Peters, G. J. Y., Pennings, E., Blickman, T., Hollemans, K., Breeksema, J. J. J., … & van den Brink, W. (2021). Developing a new national MDMA policy: Results of a multi-decision multi-criterion decision analysis. Journal of Psychopharmacology, 35(5), 537-546.

En gros, ces travaux scientifiques sont une manière très sérieuse de peser le pour et le contre, ce qui permet d’aider à prendre des décisions politiques qui auront un impact significatif sur la population.

Et on peut vraiment s’intéresser à tout sous le prisme de cette approche. On peut par exemple proposer des façons de légaliser un produit en particulier, dans un certain contexte à un moment donné.

Et grâce au travail de David Nutt une incohérence entre les décisions politiques et les données scientifiques a pu être rapidement mise au jour. L’étude de 2007 prend bien en compte les dommages physiques et sociaux ainsi que la dépendance de chaque drogue pour créer cette échelle, ce qui a forcément poussé à réfléchir à pourquoi la loi ne s’aligne pas sur des données objectives.

Bien sûr, c’est une première étude et certaines choses sont discutables. Les avis d’experts sont importants, mais restent des avis qui ne valent pas une méta-analyse pour attester de la dangerosité d’une drogue de manière claire et définitive. Si les experts volontaires pour ce travail sont pro ou anti drogues, s’ils ont des opinions tranchées dans un sens ou l’autre, ou simplement s’ils manquent de compétences, d’expériences, et de connaissances, cela impacte forcément le résultat de l’étude directement.

Cependant, lorsqu’il s’agit d’établir des politiques publiques, il ne paraît pas absurde de nous appuyer sur des experts et de croiser un certain nombre de disciplines différentes avec les données scientifiques associées. Ce qui a été le cas ici, donc a priori c’est plutôt propre au niveau de la méthodologie.

En plus, la politique publique de répression et de pénalisation des drogues n’est pas faite autrement qu’en prenant en compte les peurs subjectives, les anecdotes et les impressions des politiciens sur telle ou telle molécule…

Il est aussi important de ne pas oublier que la politique actuelle autour des drogues repose en grande partie sur un racisme systémique encore très actif aujourd’hui. Pour donner une petite idée en utilisant l’exemple des Etats-Unis : l’usage de psychotropes est similaires chez les Noirs et les Blancs, mais on observe 3 à 6 fois plus d’arrestations dans la population noire Rosino, M. L., & Hughey, M. W. (2018). The war on drugs, racial meanings, and structural racism: A holistic and reproductive approach. American Journal of Economics and Sociology, 77(3-4), 849-892. https://doi.org/10.1111/ajes.12228 .

Aux États-Unis comme en France, ce sont les populations issues de l’immigration qui sont les plus touchées par la prohibition Goulian, A., Jauffret-Roustide, M., Dambélé, S., Singh, R., & Fullilove III, R. E. (2022). A cultural and political difference: comparing the racial and social framing of population crack cocaine use between the United States and France. Harm reduction journal, 19(1), 44. https://doi.org/10.1186/s12954-022-00625-5 et la répression, même quand les personnes disposent de la nationalité.

Rosino, M. L., & Hughey, M. W. (2018). The war on drugs, racial meanings, and structural racism: A holistic and reproductive approach. American Journal of Economics and Sociology, 77(3-4), 849-892.
Rosino, M. L., & Hughey, M. W. (2018). The war on drugs, racial meanings, and structural racism: A holistic and reproductive approach. American Journal of Economics and Sociology, 77(3-4), 849-892. (ILS : infraction à la législation sur les stupéfiants)

« Il est important de noter que la manière dont la France aborde le crack n'est pas dénuée de dimension raciale, car la politique en matière de drogues et le système pénal sont étroitement liés. La discrimination et les inégalités structurelles en matière d'arrestation et d'incarcération selon l'origine ethnique ont été documentées par des recherches quantitatives en sciences sociales [29]. De plus, des études ethnographiques ont montré une surreprésentation des personnes de couleur dans les prisons françaises, ainsi qu'une multiplication par trois des comparutions devant les tribunaux et des taux d'arrestation plus élevés pour les ressortissants français nés à l'étranger [30, 31]. La difficulté à mettre explicitement en évidence les inégalités raciales s'explique en partie par le prisme de l'« universalisme républicain », qui affirme que tous les Français appartenant à la même nation doivent être considérés comme des « citoyens égaux » jouissant des « mêmes droits », quelle que soit leur origine. Ce cadre donne lieu à un discours politique aveugle à la couleur de peau, incapable de reconnaître publiquement la discrimination à l'égard des personnes de couleur selon l'idéologie colonialiste française [32]. »

Avec l’étude de David Nutt, on commence à objectiver le sujet et à définir les choses de manière plus méthodique et pragmatique, et ce papier de 2007 marque le début des études MCDA. Elles vont permettre de donner de réelles réponses basées sur les faits et les données scientifiques pour qu’on puisse avoir une idée juste des dommages associés à chacune des drogues étudiées.

David Nutt reconnaît lui-même dans son livre que son étude comporte des biais et qu’elle mérite d’être approfondie.

« [...] une autre critique du papier de 2007 dans The Lancet était le fait qu’[ils ont] calculé le score final de dommage en donnant à chaque facteur le même poids, alors qu’en fait certains pouvaient être plus importants que d’autres. […] »

« L’analyse décisionnelle multi-critère (MCDA) est une technique souvent utilisée dans des situations où une décision doit prendre en compte différentes sortes d’informations, et où il y a tellement de dimensions que les conclusions ne peuvent être aisément tirées d’une simple discussion. »

« Le MCDA sépare un problème en plusieurs critères, et ensuite compare ces critères les uns avec les autres pour apprécier leur importance relative. Ces critères peuvent inclure à la fois des mesures objectives et des jugements de valeur subjectifs, et peuvent incorporer un élément d’incertitude. »

C’est vraiment grâce à cette première étude que la science a pu commencer à apporter des arguments concrets sur les risques et les dangers des drogues, ce qui permet de contrebalancer un discours vide et réactionnaire du côté des pouvoirs publics des différents pays qui ont comme posture une répression de l’usage de psychotrope.

David Nutt a a donc impulsé une autre manière d’observer les phénomènes liés aux drogues, en favorisant une politique basée sur les preuves. 

La suite des études MCDA !

Après cette étude de 2007, de nombreuses autres ont été menées, notamment en 2010 où on peut voir une évolution de l’échelle plaçant le LSD ou même l’ecstasy encore plus bas dans le classement, alors que l’alcool passe en tête et de loin, notamment dans les dommages qu’il provoque à la société dans son ensemble.

Il y a eu deux études différentes publiées en 2010, donc la confusion est possible. Une concerne toujours le Royaume-Uni Nutt, D. J., King, L. A., & Phillips, L. D. (2010). Drug harms in the UK: a multicriteria decision analysis. The Lancet, 376(9752), 1558–1565. doi:10.1016/s0140-6736(10)61462-6 , l’autre a été menée aux Pays-Bas Van Amsterdam, J., Opperhuizen, A., Koeter, M., & Van den Brink, W. (2010). Ranking the harm of alcohol, tobacco and illicit drugs for the individual and the population. European addiction research, 16(4), 202-207. doi: 10.1159/000317249 par l’équipe de van Amsterdam et affiche un échelle similaire bien que l’alcool ne soit pas en tête. Il est important de rappeler cependant que l’étude néerlandaise utilise la méthodologie de 2007, tandis que la nouvelle étude britannique utilise une analyse plus fine, avec de plus nombreux critères.

Echelle de dangerosité améliorée - Nutt, D. J., King, L. A., & Phillips, L. D. (2010). Drug harms in the UK: a multicriteria decision analysis. The Lancet, 376(9752), 1558–1565.
Echelle de dangerosité néerlandaise - Les drogues dures sont la liste I de la législtation néerlandiase ; les drogues douces la liste II ; provenant de l'Opiumwet. Les drogues sont classées en fonction de leurs dégâts individuels, mais les barres représentent la moyenne des dégâts individuels + sociétaux. Van Amsterdam, J., Opperhuizen, A., Koeter, M., & Van den Brink, W. (2010). Ranking the harm of alcohol, tobacco and illicit drugs for the individual and the population. European addiction research, 16(4), 202-207.
Drogues dures ou douces ?

En France on entend souvent parler des drogues dures et douces. C’est un peu comme les sciences dures et les sciences molles, mais en plus confus encore. C’est utilisé pour classer de manière arbitraire les drogues, avec une vague impression que les drogues dures seraient les plus dangereuses, notamment du fait de leur addictivité supposée.

Pour aller vite, cette dichotomie est du pifomètre à l’état pur, mais pour les néerlandais ces termes sont utilisés pour établir deux listes, dans lesquelles on range les drogues afin de savoir lesquelles on peut transporter et consommer, et celles avec lesquelles on ne doit surtout pas se balader.

Que ce soit dans la « sagesse populaire » ou dans la loi, la logique est la même et comme le montre le classement avec les barres rouges et violettes, ce n’est pas parce que ces termes sont inscrits dans leur Opiumwet qu’ils sont plus objectifs et mesurés.

Les critères s’affinent, le poids de chacun de ces critères est redéfini pour mieux prendre en compte les points de vue des experts sur les dommages causés par chaque drogue, l’étude se complexifie et de fait rend mieux compte de la réalité. Cette décomposition en critère permet énormément de choses, notamment savoir où il serait le plus urgent d’agir du point de vue de la santé publique par rapport à chaque drogue.

Ainsi on constate au Royaume-Uni en 2010 que la criminalité associée à l’usage d’héroïne est un problème plus important que les blessures associées à son usage, et cela donne des pistes de prévention et d’intervention. La criminalité liée à l’héroïne étant surtout due à une grande précarité des consommateurs concernés Pierce, M., Hayhurst, K., Bird, S. M., Hickman, M., Seddon, T., Dunn, G., & Millar, T. (2017). Insights into the link between drug use and criminality: Lifetime offending of criminally-active opiate users. Drug and alcohol dependence, 179, 309-316. doi: 10.1016/j.drugalcdep.2017.07.024 , on sait alors qu’il est préférable de favoriser des programmes médico-sociaux de réinsertion plutôt que bêtement punir les personnes pour leur usage.

« Un casier judiciaire va généralement de pair avec des antécédents de consommation illégale de drogues [38]. Dans notre modèle, les participants qui ont été incarcérés (par rapport à ceux qui ne l'ont jamais été) sont les plus exposés au risque de consommation de drogues injectables. Du point de vue des mesures de santé publique, la législation répressive en matière de drogues a un effet négatif, car elle influence le marché noir et favorise la marginalisation des consommateurs [10]. Un casier judiciaire est associé à une fréquence plus élevée de consommation de drogues par voie intraveineuse [39] et la durée de l'incarcération a un effet direct et certain sur la consommation de drogues injectables en prison [40]. De même, les participants exerçant des activités illégales sont plus susceptibles de consommer des drogues par voie intraveineuse. Les consommateurs de drogues injectables ont commis davantage d'infractions liées à la drogue et ont été placés en détention pour des périodes plus longues que les consommateurs non injectables [41]. Enfin, lorsqu'ils sont inscrits à des programmes, les consommateurs de drogues injectables affichent une réduction moins importante des résultats en matière de criminalité que les consommateurs non injectables [42]. »

Ça donne des pistes de recherche, comme l’accès aux soins rendu difficile par le stigma Muncan, B., Walters, S. M., Ezell, J., & Ompad, D. C. (2020). “They look at us like junkies”: influences of drug use stigma on the healthcare engagement of people who inject drugs in New York City. Harm reduction journal, 17, 1-9. https://doi.org/10.1186/s12954-020-00399-8 porté par les personnes, notamment injectrices. Et surtout, on commence à avoir des indicateurs concrets sur les phénomènes liés aux psychotropes. C’est un outil très pratique et qui permet d’orienter plus efficacement les politiques publiques, de mieux identifier les vrais sujets à traiter, et aussi de relever les erreurs et les mensonges publiquement portés dans les gouvernements ou sur les plateaux télé.
Plus de critères ont été définis, ce qui permet une analyse plus fine de l'effet des drogues sur l'individu et la société. - Nutt, D. J., King, L. A., & Phillips, L. D. (2010). Drug harms in the UK: a multicriteria decision analysis. The Lancet, 376(9752), 1558–1565.

Je suis toujours enthousiaste quand je croise de telles études, qui proposent des solutions concrètes et une façon de modéliser rationnelle. Mais David Nutt lui-même rappelle dans son livre qu’aucun modèle n’est parfait qu’il ne faut jamais oubliquer les biais inhérents à ce type de recherche. Qu’ils proviennet de la méthodologie ou tout simplement du paysage politique dans lequel on baigne.

« D’abord, nous avons mesuré uniquement les dommages causés par les drogues, quand en fait elles ont aussi des bénéfices (au moins initialement, autrement personne ne voudrait les consommer). Mesurer les bénéfices est déjà une partie établie de l’argument pour garder l’alcool et le tabac légal, puisque les emplois qu’ils permettent et les taxes qu’on en tire permet de compenser leur coût du moins en partie. Un modèle plus nuancé pourrait essayer de penser aux coûts comme aux bénéfices, et théoriquement cela serait très facile avec le MCDA, bien que cela puisse être politiquement compliqué. »

« Deuxièmement, une grande partie des dommages causés par les drogues vient de leur disponibilité et de leur statut légal, donc idéalement un modèle devrait être capable de distinguer entre les dommages directement liés à la drogue, et les dommages liés au contrôle légal d’une drogue. Une large partie du risque d’overdose pour les consommateurs d’héroïne, par exemple, est relié au fait qu’ils ne peuvent avoir accès à un produit pur et régulier. »

« Enfin, les consommateurs sont loin d’être un groupe homogène : il y des schémas très différents d’usage qui peuvent avoir des profils très différents de dommages. Un modèle futur pourrait être capable de distinguer entre les différents moyens de consommation, entre les usages sous prescription et sans prescription, entre personnes addicts et non-addicts. »

Depuis 2010, de nombreuses études sur le modèle MCDA ont été menées dans plusieurs pays et, a priori, on retrouve des tendances partout où les études sont faites. L’alcool est toujours dans le top des drogues dangereuses, les psychédéliques toujours dans les moins dangereuses, et en ce qui concerne les stimulants cela varie en fonction du contexte de consommation dans la société, mais la méthamphétamine et le crack (cocaïne base) semblent avoir une nocivité globalement élevée partout où on les retrouve. 

Les études MCDA depuis 2010

Bourgain, C., Falissard, B., Blecha, L., Benyamina, A., Karila, L., & Reynaud, M. (2012). A damage/benefit evaluation of addictive product use. Addiction, 107(2), 441-450. doi:10.1111/j.1360-0443.2011.03675.x
van Amsterdam, J., Nutt, D., Phillips, L., & van den Brink, W. (2015). European rating of drug harms. Journal of psychopharmacology, 29(6), 655-660.
Bonomo, Y., Norman, A., Biondo, S., Bruno, R., Daglish, M., Dawe, S., ... & Castle, D. (2019). The Australian drug harms ranking study. Journal of Psychopharmacology, 33(7), 759-768.
Bonnet, U., Specka, M., Soyka, M., Alberti, T., Bender, S., Grigoleit, T., … & Scherbaum, N. (2020). Ranking the harm of psychoactive drugs including prescription analgesics to users and others–a perspective of german addiction medicine experts. Frontiers in psychiatry, 11, 592199.
Castano, G., Gasca, E. N. G., & Sandoval, J. D. J. (2022). Harm Estimation from psychoactive drug use under MCDA principles and community perceptions in Colombia, 2021
Crossin, R., Cleland, L., Wilkins, C., Rychert, M., Adamson, S., Potiki, T., … & Boden, J. (2023). The New Zealand drug harms ranking study: A multi-criteria decision analysis. Journal of Psychopharmacology, 02698811231182012.

Maintenant que ça c’est dit, il faut garder en tête qu’il existe des nuances et des subtilités en fonction des drogues, dont la dangerosité est déterminée par tellement de facteurs différents qui se recoupent comme la prohibition, la pureté des produits et bien d’autres choses, qu’il serait trop simpliste de juste observer le classement et penser qu’il est figé pour l’éternité. Et malheureusement on ne peut que constater qu’à aucun moment les bénéfices liés à la consommation ne sont pris en compte dans le score de chacun des psychotropes.

Comme le disait David Nutt, c’est compliqué politiquement d’admettre que l’usage de drogues est avant tout une recherche de quelque chose de positif : comme la recherche de plaisir, d’aller bien ou d’aller mieux, ou simplement s’amuser !

Il y a aujourd’hui un consensus scientifique largement partagé sur la manière de considérer la dangerosité des drogues. On sait les classer, ces classements sont relativement identiques à travers les pays, et les données scientifiques relatives à l’action des drogues étudiées croisées avec le regard des experts en la matière, ne laissent plus vraiment de doute sur le fait que la législation actuelle dans la plupart des pays est un non-sens.

Seulement, le souci est que cette objectivation contredit énormément le discours politique et médiatique au sujet des drogues, ce qui a notamment valu à David Nutt d’être viré de son poste de conseiller au gouvernement britannique après avoir démontré en 2009 que le LSD et la MDMA étaient des drogues moins dangereuses que l’alcool.

Le modèle biopsychosocial : un modèle interactionniste

Le modèle biopsychosocial est un modèle dit « interactionniste », c’est-à-dire qu’il prend en compte différentes réalités (sociales, biologiques, environnementales, pharmacologiques, etc). C’est un modèle qui cherche à retranscrire au mieux la complexité des interactions entre toutes ces réalités dans le pourquoi on consomme. Ce même modèle est surtout utilisé dans l’addictologie.

Pour plus d’infos, click click !

Facteurs pharmacologiques

Les facteurs reliés à la drogue incluent la manière pour la substance d’atteindre le cerveau et ce qu’elle fait une fois arrivée. Pour en apprendre plus sur la pharmacodynamique des drogues, c’est par là !

Facteurs biologiques

Les facteurs personnels et biologiques rassemblent l’âge, le genre, la génétique, l’état de santé général.

Facteurs environnementaux

Les facteurs sociaux et environnementaux incluent la possibilité et l’acceptabilité de l’usage, la présence de publicité, l’importance de la consommation dans les groupes sociaux et les coûts sociaux et économiques de l’usage.

On voit donc là que la science ne suffit pas pour changer la société et l’améliorer, elle doit aussi être soutenue par un discours politique qui doit accepter d’être contredit lorsque c’est nécessaire, et si le gouvernement s’autorise à rejeter purement et simplement une réalité scientifique au sujet des drogues, il est légitime de se poser des questions sur sa capacité à prendre des décisions pour le bien commun et sur les intentions réelles derrière ce type de décision en opposition avec la méthode scientifique.

En France, on peut compter sur l’Observatoire Français des Drogues et Tendances addictives pour avoir tous les ans une étude chiffrée des conséquences socio-sanitaires des drogues les plus consommées.

On peut constater que la réalité sanitaire s’aligne assez bien sur les données scientifiques que l’on peut tirer des études citées précédemment. Et quand on voit le coût social des drogues, on voit que toutes les drogues hors tabac et alcool n’arrivent pas au dixième des dégâts causés par ces deux drogues légales même en les regroupant absolument toutes.

Et si on regarde du côté de l’alcool, c’est un produit qui a tellement de poids en termes économiques et culturels qu’il est aujourd’hui très difficile de le présenter pour ce qu’il est vraiment, à savoir une drogue, avec des conséquences sanitaires importantes. Considérant cela, est-ce qu’il faut interdire l’alcool ? Je pense personnellement que non. Mais est-ce qu’il est logique qu’une drogue aussi nocive et lourde de conséquences pour la société et la santé publique soit autorisée, et pas le cannabis ou la MDMA ? La réponse est évidemment non.

Bref, maintenant qu’on en sait plus sur la dangerosité établie des psychotropes « classiques », on peut continuer en discutant de la perception que l’on a des risques associés à l’usage de drogues.

Notre perception des risques.

Comme on l’a vu dans l’article sur les raisons de consommer, il existe énormément d’explications à la consommation. Et chacune de ces raisons pourrait être décortiquée en « sous-raison ».

Par exemple : améliorer les interactions sociales, ok, mais de quelle manière, dans quel contexte et dans quel but on veut améliorer ces interactions ? Pour avoir des amis ? Être bien vu ? Se sentir moins seul ? Ou simplement améliorer une expérience déjà positive ? Quand on consomme, on ne se pose pas forcément la question des risques que l’on prend. On identifie surtout une fonction à la drogue, et c’est ce que Christian Müller appelle l’instrumentalisation des drogues.

Vous pouvez en apprendre plus sur les raisons et motivations liées à la consommation dans l’article sur pourquoi on consomme ! Il vous suffit de cliquer sur le bouton ci-dessous.

Les drogues, ce sont des outils, et comme tous les outils elles ont une utilité, une manière de s’en servir dans un certain contexte, et le risque lui-même n’est pas identique en fonction de tout ça. Il y a des voies d’administration plus risquées que d’autres, des dosages plus forts ou plus faibles, des mélanges plus ou moins risqués… tout ça est complexe et ne peut être résumé simplement.

Une question se pose alors : comment on peut s’expliquer la perception qu’on a d’un risque ?

Pour y répondre, il faut d’abord s’interroger sur la différence entre risques et dangers ! Ces termes sont souvent amalgamés, alors je vais essayer de les séparer pour y donner un peu plus de sens.

Un danger est un objet ou un contexte qui s’apprête à provoquer un dommage, comme une blessure ou plus grave encore.

Par exemple, on considère que la nicotine consommée sous forme de tabac est particulièrement nocive, donc dangereuse pour la santé, du fait de sa toxicité notamment liée à la combustion. Les dangers identifiés sont certains types de cancers et de maladies cardio-vasculaires. 

Le risque, quant à lui, est la probabilité qu’un danger se concrétise et cause effectivement des dommages, combinée à la gravité potentielle de ces dommages.

Par exemple, consommer la nicotine sous forme de tabac, avec les effets de la combustion, augmente les risques de cancers et autres maladies liées au tabagisme. Vapoter permet de diminuer le risque de nombreux dangers liés à la nicotine et au tabac.

En résumé, le danger est un dommage possible ou imminent, tandis que le risque est la probabilité de la gravité et de la survenue de ce danger.

Pour prendre un exemple un peu simpliste, un couteau c’est dangereux parce que ça coupe et ça peut se planter. Mais ne pas courir avec, l’utiliser uniquement pour faire la cuisine et le ranger dans un tiroir quand on a terminé, c’est mettre au minimum les risques de se blesser avec et donc que le danger se concrétise.

On peut donc surtout agir sur le risque pour mettre à distance le danger. Et c’est pour ça que ce qui nous intéresse dans le projet DRUGZ, c’est de faire la promotion de la réduction des risques. Mieux connaître les risques est un premier facteur important de la diminution de ceux-ci. Certaines molécules et certains comportements sont plus dangereux que d’autres, mais ces dangers peuvent être évités, retardés ou diminués en réduisant les risques qui sont liés. 

Connaître les risques c’est donc mieux s’adapter en trouvant des solutions et des moyens qui les réduisent efficacement. Si on garde l’exemple du tabac, on peut grandement améliorer la santé des personnes, repousser et même éviter certaines maladies, en passant simplement à la vaporisation et en utilisant des liquides avec les normes qui conviennent.

Ou encore, quelqu’un qui consomme de l’héroïne en injection pourra le faire d’une manière beaucoup plus sécurisée en ayant du matériel propre et stérile, un toit au-dessus de la tête, un produit pur et quelqu’un formé à l’administration de naloxone à côté en cas de pépin.

L'acceptabilité du risque et l'optimisme comparatif.

Nous avons chacun et chacune notre propre taux d’acceptabilité du risque Tchiehe, D. N., & Gauthier, F. (2017). Classification of risk acceptability and risk tolerability factors in occupational health and safety. Safety science, 92, 138-147. https://doi.org/10.1016/j.ssci.2016.10.003 . C’est, en gros, un calcul probabiliste qu’on fait plus ou moins consciemment dans notre tête. Souvent il se fait sans même qu’on ait d’information vraiment concrète qui nous permettrait de le rationaliser. On va par exemple prendre en compte des éléments comme le témoignage d’un ami pour qui ça s’est bien ou mal passé dans un contexte similaire.
On peut aussi, malgré nous, intégrer des rumeurs et des « on dit », des messages anti-ceci ou pro-cela, sans qu’on y ait appliqué un raisonnement critique avant. Mais il est aussi possible qu’on connaisse des données scientifiques sur l’action des drogues, et qu’on les intègre dans notre calcul. Le raisonnement est en grande partie automatique Mercier, H., & Sperber, D. (2021). L’Énigme de la raison. Odile Jacob. et c’est pas si simple de passer en mode manuel Kahneman, D., & Clarinard, R. (2016). Système 1, système 2: les deux vitesses de la pensée. Flammarion. . En plus, le mode manuel ne nous garantit pas à 100 % qu’on prendra forcément la meilleure décision !

Daniel Kahneman nous dit dans son livre que

« En général, une “loi du moindre effort” s’applique à l’effort, qu’il soit cognitif ou physique. Cette loi stipule que s’il y a plusieurs façons de parvenir à un même but, les gens finiront par suivre la moins fatigante. Dans l’économie de l’action, l’effort est un coût, et l’acquisition de compétences est motivée par la balance des profits et coûts. La paresse est profondément inscrite dans notre nature. »

Cela explique pourquoi changer d’habitude est difficile, tout comme changer d’avis. Il n’est pas simple du tout de reconnaître qu’on peut se tromper et faire fausse route. Et mettre en place des stratégies pour modifier sa manière de réfléchir et de prendre des décisions est très complexe, nécessite du temps, et demande parfois des changements radicaux dans notre mode de vie.

Nos biais cognitifs et l’environnement qui les entretient sont de redoutables adversaires à une pensée critique orientée vers soi et le monde qui nous entoure !

On va essayer d’imager un peu tout ça.

Si on veut consommer de la MDMA en teuf et qu’on a un pote qui en a déjà pris et qui nous dit que c’est génial dans ce contexte, que pour lui c’était une super expérience, ça va nous influencer et même occulter d’autres informations importantes à prendre en compte.

Peut-être qu’il n’a aucun soucis de santé, mais que nous on est diabétique ou qu’on a un traitement à ne surtout pas mélanger, peut-être qu’il était déjà bien expérimenté avec les drogues en général, et que nous, c’est notre première expérience, etc etc.

Il y a des choses à vérifier auxquelles on ne pense pas, parce qu’il nous manque des infos. Ce type d’influence marche dans les deux sens, puisqu’un témoignage d’une expérience négative peut nous pousser à abandonner l’idée de consommer sans qu’on ait plus de détail que ça et d’éléments de comparaison pour prendre une décision plus mesurée.

Mais c’est pas toujours comme ça que ça se déroule.

D’autres personnes vont vouloir rassembler plusieurs expériences, négatives et positives, puis y ajouter des éléments théoriques sur le fonctionnement de la MDMA, et enfin se préparer à un contexte particulier, pour décider si elles vont consommer ou pas. Des sites comme Psychonaut ou Erowid sont de bonnes ressources pour trouver ce qu’on appelle des « trip reports« .

Passer le raisonnement en mode manuel est donc plutôt une bonne chose pour prendre de meilleures décisions, même si il y aura toujours des marges d’erreurs. Et pour y arriver, il est important de disposer d’informations objectives et claires.

Il faut aussi penser au biais d’optimisme Weinstein, N. D. (1989). Optimistic biases about personal risks. Science, 246(4935), 1232-1233. https://doi.org/10.1126/science.2686031  – ou optimisme comparatif. C’est le fait de penser que les trucs relous n’arrivent qu’aux autres ! On pense alors que les choses positives nous arrivent plus souvent à nous, et les choses négatives moins souvent. Et plus on a d’expériences qui viennent « confirmer » ça, plus le biais se renforce.

On peut par exemple s’appuyer sur un papier qui traite Bujalski, M., Wieczorek, Ł., & Sierosławski, J. (2021). Risk perception and risk aversion among people who use new psychoactive substances. International Journal of Drug Policy, 97, 103326. https://doi.org/10.1016/j.drugpo.2021.103326   des nouveaux produits de synthèse et de l’attitude des consommateurs vis-à-vis de ceux-ci. Ses auteurs nous expliquent que

« Pour comprendre comment les gens réagissent aux risques liés aux NPS, il est important d'étudier à la fois les approches rationnelles et non rationnelles des consommateurs ; nous devons donc être attentifs aux biais cognitifs dans les perceptions du risque. »

« Les études [sur la perception du risque] montrent que la perception du risque personnel est généralement inférieure à la perception du risque général. Ce biais optimiste et égoïste dans l'évaluation des risques se retrouve souvent chez les personnes qui se sentent plus en contrôle de leurs comportements à risque malgré une connaissance limitée des risques ou des nouveaux risques. »

« Les résultats de notre étude pourraient donc refléter les effets cognitifs du biais susmentionné dans l'évaluation des risques. Il convient également de souligner le rôle des aspects environnementaux des risques liés à la consommation de drogues et le contexte dans lequel l'exposition à certains risques est volontaire. »

« Les jugements sur les risques dépendent du contexte social d'une personne ; les dommages perçus dans un groupe de consommateurs de drogues sont réduits car le principe « si tout le monde le fait, cela ne peut pas être dangereux » dissout la gravité perçue des risques volontaires associés à la consommation de NPS. »

« Le contexte institutionnel et juridique dans la formation de la conscience des risques est moins important. Une autre explication serait que la consommation fréquente de certains NPS peut affecter la familiarité perçue d'une substance et donc encourager une perception moindre des risques. »

Nouveaux produits de synthèse

Les nouveaux produits de synthèse (NPS), aussi appelés RC pour « research chemicals », sont des drogues synthétiques arrivées relativement récemment sur le marché des psychotropes. Ils sont le plus souvent des analogues aux drogues classiques interdites. Par exemple, le cannabis a vu des cannabinoïdes de synthèse arriver pour le remplacer (ou parfois s’y ajouter). Des empathogènes comme le 5-MAPB ou encore le 6-APB peuvent être utilisés pour remplacer la MDMA, le LSD peut être remplacé par du 1P-LSD, etc.

Il existe des centaines, si ce n’est des milliers, de NPS, dont la synthèse est largement favorisée par la prohibition.

La diversité énorme et l’absence de recul et de données scientifiques sur la plupart d’entre eux les rend particulièrement dangereux et imprédictibles en termes d’effets secondaires ou même de léthalité.

Une vigilance toute particulière est absolument nécessaire lorsqu’on souhaite expérimenter de telles molécules, et des recherches approfondies doivent être faites !

Pour aller plus loin à leur sujet :

Hohmann, N., Mikus, G., & Czock, D. (2014). Effects and risks associated with novel psychoactive substances: mislabeling and sale as bath salts, spice, and research chemicals. Deutsches Ärzteblatt International, 111(9), 139.

Zawilska, J. B. (2017). An expanding world of novel psychoactive substances: opioids. Frontiers in psychiatry, 8, 110.

Mohr, A. L., Logan, B. K., Fogarty, M. F., Krotulski, A. J., Papsun, D. M., Kacinko, S. L., … & Ropero-Miller, J. D. (2022). Reports of adverse events associated with use of novel psychoactive substances, 2017–2020: a review. Journal of Analytical Toxicology, 46(6), e116-e185.

Pour garder l’exemple de la MDMA, si on a l’habitude de la mélanger avec de l’alcool et du cannabis à fortes doses et qu’il ne nous arrive rien de mauvais – en tout cas selon nos propres critères, on aura du mal à imaginer que notre pratique est particulièrement risquée et tout message allant dans ce sens nous paraîtra bien alarmiste.

Et même quand quelque chose nous arrive, il est toujours possible de minimiser ce qui est arrivé, en disant que c’est un évènement isolé, que c’est pas si grave, et que de toute façon « il faut bien mourir de quelque chose.» Le raisonnement qu’on a n’est pas toujours conscient et relève le plus souvent du réflexe, et parfois nos réflexes sont bons, parfois ils sont tout moisis.

L’idée de la réduction des risques c’est de conscientiser nos comportement pour mieux les contrôler et mettre à l’écart ce qui nous est particulièrement nocif tout en continuant à prendre du plaisir à consommer. En gros passer en mode manuel de manière méthodique.

L’efficacité de la réduction des risques en tant que telle n’est pas simple à évaluer. Mais si on prend les différents dispositifs existant, comme les salles de consommations ou l’analyse de drogues sous toutes ses formes, on peut alors définir des critères et voir les résultats. Et ce qu’on peut affirmer aujourd’hui, c’est que ça marche plutôt bien ! La réduction des risques en tant que politique publique de santé, qui accepte l’usage de psychotropes et l’accompagne de manière pragmatique et humaniste, permet de sauver des vies, d’éviter des accidents, et d’accompagner plus efficacement les personnes souffrant d’addiction. En France, l’INSERM a conclu que les salles de consommation de Paris et Strasbourg avaient permis de nombreuses choses positives du point de vue de la santé publique, mais aussi pour la tranquillité du voisinage. De son côté, l’analyse de drogues Fregonese, M., Albino, A., Covino, C., Gili, A., Bacci, M., Nicoletti, A., & Gambelunghe, C. (2021). Drug checking as strategy for harm reduction in recreational contests: evaluation of two different drug analysis methodologies. Frontiers in Psychiatry, 12, 596895. https://doi.org/10.3389/fpsyt.2021.596895 permet aux personnes de faire plus attention aux dosages et aux produits adultérés.

En bref, on a toutes et tous une manière différente d’appréhender les risques, de les anticiper, puis de les prendre en considération dans nos décisions. On peut se dire que cela conditionne seulement si on consomme ou pas, mais ça peut aussi déterminer que l’on va consommer en dosant plus faiblement que fortement, en utilisant la paille plutôt que la seringue et en s’entourant plutôt qu’en s’isolant. Il y a un monde infini de possibilités d’intégrer les risques dans nos calculs personnels qui définissent nos choix de vie, et ce bien au-delà de la consommation de psychotropes.

La balance bénéfice-risques de la consommation est donc fortement influencée par des biais cognitifs Wolff, K., Larsen, S., & Øgaard, T. (2019). How to define and measure risk perceptions. Annals of Tourism Research, 79, 102759. https://doi.org/10.1016/j.annals.2019.102759 et des raisonnements sophistiques. Mais s’arrêter à ça, c’est mettre de côté les stratégies conscientes et rationnelles adoptées par énormément de personnes qui consomment des psychotropes. Et ce n’est pas sans raison que cet article est truffé de preuves scientifiques sur la dangerosité réelle et les risques liés aux drogues.

Associer la consommation de psychotropes à un comportement qui serait par nature irréfléchi et irresponsable est donc une grossière erreur. Tout le monde ne consomme pas sans savoir ce qu’il fait, et à en croire l’organisme des Nations Unies qui s’occupe d’étudier les tendances mondiales de la consommation, environ 10 % des consommateurs et consommatrices à travers le monde auraient des problèmes liés à leur usage de drogues.

On est bien loin du discours médiatique anti-drogue bête et méchant, et on a pas mal d’autres données scientifiques qui nous démontrent qu’on est loin d’un comportement qui est en soit parfaitement nocif et destructeur pour la santé. Le Lancet donne son opinion au travers d’un edito publié en décembre 2024 et déclare qu’il faut remplacer les politiques punitives autour des drogues par des politiques de réduction des risques !
Ils l’avaient déjà fait en 2016 mais c’est toujours bon de rappeler les bases, notamment celles-ci :

« La vulnérabilité à la consommation problématique de drogues est multifactorielle, mais elle est principalement déclenchée ou exacerbée par des expériences négatives vécues pendant l'enfance (telles que la privation de nourriture ou l'exposition à la violence domestique), des expériences traumatisantes (telles que la perte de logement) et une prise en charge médicale inadéquate des problèmes de santé. Les personnes sujettes à la dépendance ont tendance à consommer des substances pour s'automédicamenter tout au long de leur vie, même à leur propre détriment. Sans un environnement favorable, la rechute est fréquente. C'est pourquoi nous avons besoin de vastes programmes axés sur la famille pour s'attaquer aux déterminants sociaux de la toxicomanie pendant l'enfance. Chez les adultes, la consommation de substances illicites peut également être une réponse à l'indignité d'un logement précaire ou de l'incarcération, à l'insécurité alimentaire et sanitaire, et au manque d'eau potable et d'installations sanitaires, ce sont donc à ces facteurs qu'il faut d'abord s'attaquer pour atténuer la consommation problématique de drogues. »

En gros, quand l’usage devient problématique, il y a systématiquement derrière des explications biopsychosociales concrètes, et il est vain de culpabiliser les consommateurs sur ces usages, encore plus de les criminaliser. On pourrait se demander comment fait l’écrasante majorité des personnes consommatrices pour ne pas subir d’addictions ou de problèmes de santé liés à leur consommation, mais le plus étonnant devrait surtout être de constater la désinformation massive au sujet des drogues que les médias véhiculent depuis des décennies si ce n’est des siècles.

Ou, plus subtilement, ils partagent énormément de faits isolés pour faire croire à un problème global. Ils fabriquent ainsi un consentement général à ce que la liberté de consommer soit très restreinte. Ils ont des stratégies bien rodées, en utilisant des coups de projecteur sur certains évènements, en nous exposant à un biais de simple exposition, ou encore en ne donnant la parole qu’à certaines personnes et pas à d’autres. Et pour lutter contre la désinformation, il est important de s’armer d’un esprit critique !

« Alors pourquoi les activités sportives dangereuses sont-elles autorisées, quand des drogues relativement moins dangereuses ne le sont pas? Selon moi, cela reflète une approche sociétale qui ne pèse pas correctement les risques relatifs des drogues par rapport à leurs dangers réels. »

« Une société qui échoue également à comprendre les motivations des consommateurs de drogues, particulièrement les jeunes, et comment ils perçoivent ces risques comparés à d’autres activités. Le grand public, surtout la jeune génération, est désillusionné par le manque d’objectivité dans les débats politiques sur les drogues. »

« Ce manque de débat rationnel peut miner la confiance accordée au gouvernement concernant son expertise sur l’usage abusif de drogues, et ainsi discréditer les messages du gouvernement dans les campagnes d’information publiques. Les médias semblent en général avoir à cœur de relayer des rumeurs alarmistes sur les drogues illicites, à quelques exceptions près (Horizon, 2008). »

« Une analyse révélatrice regroupant dix ans de couverture médiatique sur les morts dues aux drogues en Écosse illustre parfaitement leur perspective déformée (Forsyth, 2001). Au cours de cette décennie, la probabilité qu’un journal rapporte une mort par paracétamol a été de 1 tous les 250 décès, pour le diazépam de 1 tous les 50 décès; à l’opposé, 1 décès sur 3 dû aux amphétamines a été rapporté et tous les décès par ecstasy ont été couverts. »

En France on manque d’études sur ce genre de sujets. Mais le travail de Zoé Dubus qui montre le traitement médiatique du LSD Dubus, Z. (2021). Le traitement médiatique du LSD en France en 1966: de la panique morale à la fin des études cliniques. Cygne noir, (9), 36-62. https://doi.org/10.7202/1091460ar dans les années 60 est déjà un exemple flagrant de la manipulation médiatique qui peut s’opérer, et des conséquences qu’elle a sur l’opinion publique et sur la législation. Encore aujourd’hui, on voit bien à quel point les drogues prennent une place considérable dans le débat public, notamment au travers d’une novlangue parlant de narco-ceci et de narco-cela, prêtant aux drogues une essence maléfique corrompant tout sur leur passage.

Mais on sait bien ce que les politiciens au pouvoir pensent du concept de drogues, et comment ils hiérarchisent les produits, en excluant notamment l’alcool de la catégorie des psychotropes. C’est donc intéressant de voir quelques chiffres pour objectiver un peu les choses.

Le plus gros des dégâts est concentré sur deux drogues parfaitement légales, à savoir le tabac et l’alcool, qui font respectivement dans les 75 000 et 41 000 décès, avec des coûts sociaux de 156 et 102 milliards d’euros chaque année.

A titre de comparaison, avec environ 12 millions de français consommant des opioïdes sur prescription dans l’année (estimations datant de 2018 Ponté, C., Lepelley, M., Boucherie, Q., Mallaret, M., Mestre, M. L., Pradel, V., & Micallef, J. (2018). Doctor shopping of opioid analgesics relative to benzodiazepines: A pharmacoepidemiological study among 11.7 million inhabitants in the French countries. Drug and alcohol dependence, 187, 88-94. https://doi.org/10.1016/j.drugalcdep.2018.01.036 ), seulement 356 décès peuvent y être reliés d’après la dernière étude DRAMES. Et si j’y ajoute les chiffres liés à la consommation d’héroïne qui s’élèvent à 121 décès, cela porte le chiffre total de 477 personnes décédées suite à une consommation d’opioïdes.

On a là deux ordres de grandeur totalement différents, et ce qui est fatal avec les opioïdes Frauger, E., Kheloufi, F., Boucherie, Q., Monzon, E., Jupin, L., Richard, N., … & Micallef, J. (2018). Intérêt de la mise à disposition de la naloxone auprès des usagers de drogues pour le traitement d’urgence de surdosage d’opioïdes. Therapies, 73(6), 511-520. https://doi.org/10.1016/j.therap.2018.07.001 , ce n’est pas une toxicité intrinsèque à la molécule opioïde mais un surdosage qui vient souvent d’une situation mal maîtrisée pour diverses raisons, sans parler des risques liés à l’injection ou aux mélanges de produits.
Facteurs pouvant augmenter le risque de surdosage d'opioïdes
Facteurs liés à l'individu : les personnes dépendantes ayant une tolérance réduite aux opioïdes (après un sevrage, une incarcération ou une interruption de traitement) ; les personnes ayant des comorbidités associées (VIH, une maladie du fois - VHB ou VHC - ou des poumons, la dépression)
Facteurs liés à l'opioïde consommé et aux modalités de consommation : profil pharmacologique de l'opioïde consommé, voie intraveineuse, dosage important, prise occasionnelle
Facteurs liés aux consommations associées : consommation d'autres sédatifs et dépresseurs respiratoires (alcool, benzodiazépines, autres opioïdes..)
Facteurs liés à l'accessibilité du produit : famille/proches en possession d'opioïdes

Toutes ces informations peuvent être prises en compte dans notre taux d’acceptabilité du risque, puisqu’elles nous informent sérieusement sur les drogues les plus dangereuses et sur celles qui présentent un profil plus sûr. Mais elles permettent aussi de réfléchir à pourquoi on a un tel discours alarmiste en France sur les drogues en général.

Il y a donc une stratégie rationnelle possible dès qu’il s’agit de consommer un psychotrope, ou simplement de réfléchir à leur sujet, en prenant en compte les expériences des personnes autour de nous ou sur internet, en utilisant les papiers scientifiques qui en parlent, ou encore en adoptant des comportements de réduction des risques… Et c’est pour cela qu’on ne peut pas résumer la consommation à une inconscience de la part des personnes qui consomment.

Bien sûr qu’il existe des personnes qui ne s’informent pas particulièrement, mais d’autres le font, et au regard des chiffres on peut même supposer que la majorité fait un minimum attention et adopte des réflexes basiques, mais efficaces, de réduction des risques.

Conclusion.

Pour conclure, les gens prennent le risque de consommer parce qu’ils y trouvent un intérêt qui dépasse les méfaits possibles. On parlera en détail de l’addiction, dans un prochain article, puisque c’est un cas à part où la simple volonté n’est plus du tout une question, et ce bien au-delà du sujet des psychotropes.

Mais pour revenir à la comparaison avec le sport, il me semble important de défendre absolument le droit à disposer de son corps. On laisse les gens se mettre en danger en faisant des sports automobiles, en faisant de l’escalade, ou encore en sautant de falaises et d’avions, parce qu’on accepte collectivement que ces personnes puissent se blesser et qu’on devra les soigner et payer le coût des accidents.

Ces personnes recherchent des sensations extrêmes, du plaisir, ou encore un sentiment d’avoir accompli quelque chose, ce qui n’est en rien différent de nombreuses expérimentations avec les psychotropes. Mais une barrière morale a été érigée il y a longtemps, décrétant que les drogues sont une mauvaise chose pour la société, et que le sport est une pratique en tout point recommandable.

Rien ne justifie le deux poids deux mesures, je pense au contraire qu’il est important de défendre le droit aux personnes de consommer ce que bon leur semble, sans mettre de côté l’éducation et la prévention. De la même manière qu’il est important que chacun et chacune puisse choisir son activité sportive, et la pratiquer comme bon lui semble, même si ça veut dire mettre un hijab durant une compétition.

Il était question, dans le livre sur la Réduction des Risques, d’éducation au plaisir lié à la consommation de vin.

En France, notre culture autour du vin est une vraie tradition ancrée dans les savoirs faire artisanaux et dans l’économie nationale et locale. Cela ne choque à peu près personne que l’on puisse vouloir éduquer les français à apprécier le vin, à l’associer avec la nourriture ou à le déguster dans un bar.

Pourtant, quand on regarde l’effet de l’alcool, et donc aussi sous la forme du vin, on a de nombreuses raisons de vouloir diminuer sa consommation dans la population mais pas grand-chose n’est fait en ce sens, le gouvernement a même déjà cédé face au lobby du vin pour annuler des campagnes de prévention qui auraient pu impacter négativement le chiffre d’affaire de toute la filière viticole.

Pour moi, l’éducation au plaisir est en soit un sujet, et par extension l’éducation au plaisir lié à la consommation de psychotropes, que ce soit du vin, du LSD ou n’importe quoi d’autre. Sous quelle forme ? Eh bien sous celle de la réduction des risques, de la prévention, et de l’éducation au sens large.

C’est la fin de cet article ! N’hésitez pas à partager et à donner votre avis sur les vidéos ou en utilisant le contact du site !

Bibliographie.

Sources scientifiques.

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NDR : cela fait des années que l’efficacité des salles de consommation à travers le monde n’est plus à démontrer, y compris en France qui ne constitue aucune exception en la matière. Pour autant les politiciens continuent de remettre en question ce modèle et refusent de le péreniser correctement et de le développer. C’est ici un choix politique fondé sur une morale réactionnaire et dénuée de tout bon sens. Les preuves sont là.

Efficacité de l’analyse de drogues comme outil de réduction des risques :

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Usage problématique de psychotropes :

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Unité Pathologies Populations et Traumatismes Direction des Maladies Non Transmissibles et Traumatismes – Enquête Permanente sur les accidents de la vie courante – Résultats 2017

Rigou Annabel, Paget Louis-Marie, Beltzer Nathalie, Accidents de sports de combat chez les 10-18 ans et commotions cérébrales : analyse des données de l’enquête permanente sur les accidents de la vie courante (epac) 2016-2018. Réponse à la saisine de la DGS du 13 décembre 2019. – 2020, 12 pages.

Pédrono Gaëlle, Thélot Bertrand, Beltzer Nathalie, Décès traumatiques en pratique sportive en France métropolitaine en 2017 et 2018. Résultats d’un recueil de données à partir des médias accessibles sur Internet. – 2020, 70 pages.

INSERM.

Salles de consommation à moindre risque : rapport scientifique – Mai 2021

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Drogues et addictions, chiffres clés. Tendances. Hors série international. 2025

SWAPS.

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