La plupart des personnes dans votre entourage sont des consommatrices de produits psychoactifs. Caféine, nicotine, alcool… Mais aussi médicaments anxiolytiques, anti-dépresseurs et antalgiques. Ça, c’est pour la partie avouable C’est-à-dire acceptée par la société, bien que tout ce qui touche à la santé mentale soit encore délicat à assumer publiquement . En France, nous avons le plus gros taux de consommateurs de cannabis d’Europe comme l’explique l’OFDT :
“En 2021, 47,3 % des adultes âgés de 18 à 64 ans déclarent avoir déjà consommé du cannabis au cours de leur vie. L’usage actuel (usage dans l’année), en revanche, demeure stable, et concerne 10,6 % des 18-64 ans (14,2 % des hommes et 7,2 % des femmes). Avec des premiers usages qui se déroulent principalement entre 18 et 25 ans et une proportion d’expérimentateurs de cannabis qui culmine entre 26 et 34 ans quel que soit le sexe, l’usage de cannabis demeure avant tout un phénomène générationnel. La consommation actuelle concerne encore les plus jeunes (23,5 % des 18-24 ans). Si elle diminue ensuite avec l’âge, le profil des consommateurs se diversifie, intégrant désormais davantage de quadragénaires.”
En 2017, 1,3% des 18-64 ans avaient expérimenté l’héroïne, 5,6% la cocaïne, 5% la MDMA… Bref, vous connaissez tous probablement au moins une personne qui consomme des produits psychoactifs licites ou illicites, de manière occasionnelle ou régulière, même si vous ne le savez pas.
Mais pourquoi ? Est-ce un besoin ? Est-ce une simple envie ? Est-ce de la folie pure ? Est-ce une maladie mentale ?
Il est d’abord utile de rappeler ce qu’est une drogue, puisque j’en vois déjà certains arriver avec leurs gros sabots pour me répondre au premier paragraphe, comme quoi “l’alcool, c’est pas une drogue ! C’est légal ! Et la nicotine c’est pareil, et la caféine quelle honte d’appeler cela une drogue ! Et la ritaline c’est un médicament, pas une drogue !”
La paille, la poutre, tout ça, mais il est tout de même nécessaire d’élaborer un peu plus.
Il est important de réfléchir à la notion même de drogue pour savoir de quoi on parle de manière générale lorsqu’on parle de substances psychoactives, de psychotropes, de drogues, etc. La mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (ou MILDECA) nous dit ceci :
“On appelle « drogue » toute substance psychotrope ou psychoactive qui perturbe le fonctionnement du système nerveux central (sensations, perceptions, humeurs, sentiments, motricité) ou qui modifie les états de conscience.
Une drogue est un produit susceptible d’entraîner une dépendance physique et/ou psychique. Les dangers ou risques d’une substance dépendent de nombreux facteurs : l’âge et le sexe du consommateur, le mode de consommation, la fréquence à laquelle il consomme, etc.”
Malgré le sceau officiel de l’état sur cette définition, je n’en suis pas satisfait. D’abord la notion de “perturbation”, qui laisse entendre que toute consommation vient empêcher le bon fonctionnement de notre cognition. Or il se trouve que bon nombre de médicaments qui s’avèrent être des psychotropes (méthylphénidate ou sels d’amphétamines pour le TDAH, opioïdes pour les douleurs, benzodiazépines pour l’anxiété chronique…) existent justement pour “recalibrer” la psyché d’une personne et lui permettre de fonctionner “normalement.” Tout du moins, elles permettent d’apaiser les souffrances et permettent d’exister socialement dans de meilleures conditions.
On pourrait me rétorquer que “oui mais dans ce cadre ce sont des médicaments !” sauf qu’on sort complètement d’une définition de l’objet, et qu’on est dans une définition de l’usage, et cela devient absurde, surtout quand la définition s’appuie uniquement sur de possibles effets négatifs, et qu’elle omet complètement tous les bienfaits tout aussi possibles.
De plus, la deuxième partie de leur définition appuie mes dires puisque tous les produits que j’ai listés ont leur lot de potentiel addictif et de dommages liés à la consommation. Les médicaments psychotropes ne sont donc pas, au regard de la définition de la MILDECA, autre chose que des drogues. Et, à en croire l’académie nationale de médecine, qui soit dit en passant ne prend en compte que les effets négatifs possibles dans sa définition, il serait impensable d’appeler une drogue un médicament.
Ensuite, définir une drogue sur son potentiel de dépendance est difficile à tenir jusqu’au bout du raisonnement, puisqu’il nous faudrait considérer bon nombre de produits alimentaires comme le sucre, le sel, les sauces… et aussi déconsidérer certaines drogues virtuellement sans risque d’addiction comme beaucoup de psychédéliques et de dissociatifs créant des tolérances immédiates et durant un certain temps. On peut aussi arguer que notre alimentation du quotidien a un impact considérable sur notre capacité de raisonner et de ressentir certains états, et que la frontière avec les produits psychotropes est très fine par moment.
Bref, cette définition de la MILDECA semble très fragile et nous laisse sur notre faim en plus de se concentrer uniquement sur des aspects négatifs, laissant transparaitre le parti pris évident du gouvernement et des autorités médicales. Je ne commenterai pas la suite de leurs explications sur la page internet que j’ai mise en lien. Par exemple, ils classent les drogues par leurs effets et que dans ces effets nous pouvons retrouver “naturel” et “synthétique”.
Personnellement, je préfère toujours les définitions données par des experts des questions étudiées. Je vais donc plutôt m’appuyer sur la définition de David Nutt qu’il donne dans son ouvrage Drugs. A priori, qui de mieux qu’un neuropsychopharmacologue pour parler de ce qui agit sur notre cerveau et notre psychologie et qui s’avère être une drogue ou un médicament ?
"… une drogue est une substance qui vient de l’extérieur du corps, traverse la barrière hémato-encéphalique, et a un effet similaire à nos neurotransmetteurs naturels."
Nutt, D. (2020). Drugs without the hot air: Making sense of legal and illegal drugs. Bloomsbury Publishing., p. 65.
N’oublions pas qu’en anglais “drug” signifie à la fois drogue et médicament. Les anglophones ne font pas la distinction, ce qui est à mon sens bien plus logique puisqu’une drogue peut être ponctuellement un médicament, et un médicament peut être ponctuellement une drogue. C’est donc l’usage qui finira par définir comment on perçoit telle ou telle substance. Un mot unique pour l’objet est donc plus approprié. C’est la pratique et l’usage que l’on devrait définir plus finement, ce que les anglophones font en rajoutant un mot derrière, par exemple : psychoactive drug, therapeutic drug, illicit drug, prescription drug, etc.
Un objet défini par son usage nous expose au sophisme du vrai écossais, comme celui-ci :
Bref, que l’on parle d’usage récréatif, thérapeutique, spirituel, etc, c’est parfaitement sensé puisqu’on parle d’un contexte précis à un moment donné. Mais figer la définition d’une drogue à l’usage qu’on lui aurait réservé initialement, c’est passer à côté de toute la compréhension nécessaire des usages liés à cette drogue, et c’est aussi occulter le fait que l’on vit dans un monde en mouvement et où de nombreuses drogues reviennent dans les pratiques médicales pour tout un tas de raisons.
Le wikipedia anglophone sur la question nous éclaire plus que la MILDECA ou le wikipedia francophone de “drogues” et vient s’ajouter à ce que nous partage David Nutt :
“Une drogue est une substance chimique qui, lorsqu’elle est consommée, provoque un changement dans la physiologie ou la psychologie d’un organisme. Les drogues se distinguent généralement des aliments et des substances qui fournissent un soutien nutritionnel. La consommation de drogues peut se faire par inhalation, injection, tabagisme, ingestion, absorption via un patch sur la peau, un suppositoire ou une dissolution sous la langue.“
“En pharmacologie, une drogue est une substance chimique, généralement de structure connue, qui, lorsqu’elle est administrée à un organisme vivant, produit un effet biologique. Une drogue pharmaceutique, également appelée médicament ou medicine, est une substance chimique utilisée pour traiter, guérir, prévenir ou diagnostiquer une maladie ou pour promouvoir le bien-être. Traditionnellement, les médicaments étaient obtenus par extraction à partir de plantes médicinales, mais plus récemment aussi par synthèse organique. Les médicaments pharmaceutiques peuvent être utilisés pour une durée limitée ou de manière régulière pour des troubles chroniques.“
“Les drogues psychoactives sont des substances qui affectent la fonction du système nerveux central, modifiant la perception, l’humeur ou la conscience. Ces médicaments sont divisés en différents groupes : stimulants, dépresseurs, antidépresseurs, anxiolytiques, antipsychotiques et hallucinogènes. Ces médicaments psychoactifs se sont avérés utiles pour traiter un large éventail de conditions médicales, y compris les troubles mentaux, dans le monde entier. Les drogues les plus répandues dans le monde sont la caféine, la nicotine et l’alcool, qui sont également considérées comme des drogues récréatives, puisqu’elles sont utilisées pour le plaisir plutôt qu’à des fins médicales. Toutes les drogues peuvent avoir des effets secondaires. L’abus de plusieurs drogues psychoactives peut entraîner une accoutumance et/ou une dépendance physique, tandis que l’usage excessif de stimulants peut provoquer une psychose stimulante. De nombreuses drogues récréatives sont illicites et des traités internationaux tels que la Single Convention on Narcotic Drugs existent dans le but de les interdire.”
C’est pour moi une explication plus claire et précise de ce qu’est une drogue. En français, les termes drogues, psychotropes, produits psychoactifs, substances psychoactives, sont interchangeables et veulent essentiellement dire la même chose, ne soyez donc pas surpris si je les utilise pour éviter de répéter des milliers de fois le mot “drogue”.
Et si on voyait maintenant pourquoi les gens consomment ?