Certaines personnes diront qu’il y a une consommation de drogues parce qu’il y a un trafic de drogues. Mais comme tout marché, ce trafic existe bel et bien d’abord parce qu’il y a une demande.
Une grande violence est associée au trafic : guerres de gangs, war on drugs, produits adultérés ne respectant aucune norme sanitaire et causant des surdoses mortelles, consommateurs et consommatrices ciblés par la police, incitations à la surconsommation par les vendeurs…
Essayons de décortiquer tout ça.
A celles et ceux qui considèrent que le trafic génère la demande et non pas l’inverse, je renvoie vers plusieurs articles scientifiques intéressants provenant de recherches en histoire et préhistoire.
Plusieurs sources archéologiques suggèrent que les humains ont utilisé des psychédéliques dans des contextes de guérison sacramentelle depuis la préhistoire Guerra-Doce, E. (2015). Psychoactive substances in prehistoric times: examining the archaeological evidence. Time and Mind, 8(1), 91-112. doi.org/10.1080/ 1751696X.2014.993244 . Par exemple, des peintures et des sculptures représentent des humains stylisés avec des caractéristiques de champignon Froese, T., Guzmán, G., & Guzmán-Dávalos, L. (2016). On the origin of the genus Psilocybe and its potential ritual use in ancient Africa and Europe. Economic Botany, 70, 103-114. https://doi.org/10.1007/s12231-016-9342-2 , les bulbes de peyotl stockés dans les grottes du sud-ouest du Texas ont été datés au radiocarbone à 3780-3660 avant notre ère El-Seedi, H. R., De Smet, P. A., Beck, O., Possnert, G., & Bruhn, J. G. (2005). Prehistoric peyote use: alkaloid analysis and radiocarbon dating of archaeological specimens of Lophophora from Texas. Journal of ethnopharmacology, 101(1-3), 238-242. https://doi.org/10.1016/j.jep.2005.04.022 , et des alcaloïdes psychédéliques ont été trouvés à la fois dans des artefacts et des restes de squelettes humains. Des psychédéliques auraient aussi été consommés dans des rituels indiens ou encore des rituels grecs anciens. Encore aujourd’hui des tribus d’Amazonie utilisent l’ayahuasca (comprenant de la DMT) dans une pratique mystique.
Ce qui est vrai pour les psychédéliques l’est aussi pour d’autres drogues, comme les boissons alcoolisées Guerra-Doce, E. (2015). The origins of inebriation: archaeological evidence of the consumption of fermented beverages and drugs in prehistoric Eurasia. Journal of Archaeological Method and Theory, 22, 751-782. https://doi.org/10.1007/s10816-014-9205-z ou bien comme le tabac, notamment en Amérique Tushingham, S., & Eerkens, J. W. (2016). Hunter-gatherer tobacco smoking in ancient North America: current chemical evidence and a framework for future studies. Perspectives on the archaeology of pipes, tobacco and other smoke plants in the ancient Americas, 211-230. https://doi.org/10.1007/978-3-319-23552-3_12 . Je pourrais citer le même type d’articles sur le khat (ancêtre des cathinones comme la 3-MMC), le cannabis, et bien d’autres plantes ayant été utilisées pour modifier les états de conscience dans un but spirituel, festif ou encore médicinal.
Ce n’est donc pas le trafic qui a engendré la demande et les besoins de consommations, mais plutôt l’inverse. Le point de départ à la consommation de psychotropes remonte à très loin, et on observe des changements dans les consommations. Comment est-on passé du khat à la 3-MMC ? De la feuille de coca au crack ? Les consommations autrefois plus rares et encadrées dans des rituels divers sont aujourd’hui bien plus démocratisées et répandues dans toutes les couches de la société.
La misère sociale est un terreau fertile Manhica, H., Straatmann, V. S., Lundin, A., Agardh, E., & Danielsson, A. K. (2021). Association between poverty exposure during childhood and adolescence, and drug use disorders and drug‐related crimes later in life. Addiction, 116(7), 1747-1756. https://doi.org/10.1111/add.15336 à la consommation de drogues, tout comme une position sociale favorisée peut l’être dans une moindre mesure Janicijevic, K. M., Kocic, S. S., Radevic, S. R., Jovanovic, M. R., & Radovanovic, S. M. (2017). Socioeconomic factors associated with psychoactive substance abuse by adolescents in Serbia. Frontiers in pharmacology, 8, 366. https://doi.org/10.3389/fphar.2017.00366 pour des raisons d’appartenance de groupe et de pression sociale, d’image sociale et de formes codifiées de récréation. Le croisement de différentes réalités sociales peut quant à lui donner différentes réalités d’usage de la drogue Collins, A. B., Boyd, J., Cooper, H. L., & McNeil, R. (2019). The intersectional risk environment of people who use drugs. Social Science & Medicine, 234, 112384. https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2019.112384 .
Cependant, le trafic de drogues et la guerre qui lui est faite ne datent pas de cet évènement-là. Pierre Caquet écrit dans Opium’s Orphans Caquet, P. E. (2022). Opium’s Orphans: The 200-Year History of the War on Drugs. Reaktion Books. que
« La guerre contre la drogue n’est pas née aux États-Unis. Elle a encore moins commencé, comme on le croit parfois, avec Richard Nixon. Nixon n’a même pas été le premier président américain à déclarer une telle guerre : en 1954, le président Eisenhower avait appelé à « une nouvelle guerre contre la dépendance aux stupéfiants aux niveaux local, national et international ». La prohibition moderne des drogues trouve son origine en Chine. Deux guerres de l’opium ont suivi les édits de prohibition, imposant la drogue à l’empire Qing. Pourtant, ces guerres ont suscité une censure morale aux États-Unis et laissé une tache de culpabilité en Grande-Bretagne. Au début du XXe siècle, des diplomates américains, chinois et européens se sont réunis à l’occasion d’une série de conférences visant à réformer le commerce de la drogue. Ces conférences ont établi les normes de la législation antidrogue actuelle, nationale et internationale. Les Chinois et les Américains étaient à l’offensive, et les Européens étaient désireux de se racheter, ou du moins de donner l’impression de faire ce qu’il fallait : le résultat a été la prohibition des drogues. »
Les guerres de l’opium ont été un moyen pour l’Occident d’imposer à la Chine, par la force, le commerce de l’opium. Et c’est avec la force encore qu’il a été choisi, de concert avec des pays comme la Chine, de revenir en arrière. Il est intéressant ici de constater que le trafic de drogues peut être appelé « commerce de drogues » dès qu’il s’agit d’états ou d’organisations tout à fait légales qui s’en occupent. Mais, qu’il soit décidé que les drogues circulent plus librement ou de manière extrêmement restreintes, la violence des états semble être le moyen privilégié pour faire appliquer la volonté politique du moment.
Cette méthode est employée sans restrictions par les cartels mexicains Gutiérrez-Romero, R., & Iturbe, N. (2024). Causes and electoral consequences of political assassinations: The role of organized crime in Mexico. Political Geography, 115, 103206. https://doi.org/10.1016/j.polgeo.2024.103206 et sud-américains depuis qu’ils existent. Les organisations criminelles, lorsqu’elles grossissent suffisamment, finissent par peser de tout leur poids dans les décisions politiques et économiques, justement grâce au fait qu’elles bénéficient financièrement du trafic de drogues illicites ou de médicaments détournés. Et lorsqu’un état cherche à les empêcher de prospérer, il paraît logique qu’ils répliquent avec toute la force dont ils disposent.
Une partie du pouvoir des cartels mexicains s’est évaporée à partir du moment où le cannabis est devenu légal et accessible à peu près partout aux États-Unis. Le journaliste Tom Wainwright parle justement de l’impact de la légalisation du cannabis sur le fonctionnement des cartels dans son livre Narconomics.
« D’ores et déjà, les problèmes auxquels les cartels sont confrontés sont évidents. Depuis Denver, j’appelle un ancien contact à Mexico, Antonio Mazzitelli, un Italien rusé qui dirige l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime dans la région. Je lui demande comment se porte l’industrie mexicaine du cannabis face au changement d’avis des États-Unis sur la prohibition. « L’impact a été dramatique », me répond-il. Quelques semaines plus tôt, la police mexicaine avait perquisitionné un entrepôt à Tijuana et trouvé 30 tonnes de marijuana, un gros stock à tout point de vue. « Pourquoi stocker une telle quantité ? Parce qu’il n’y a pas d’acheteur de l’autre côté. De nos jours, le [cannabis] produit aux États-Unis ou au Canada est tout simplement de meilleure qualité », explique-t-il. »
Cependant, la crise des opioïdes aux États-Unis a créé un besoin important de consommations d’opioïdes que les cartels s’empressent de combler notamment avec le fentanyl. Nous avons ici une autre raison, socio-historique, de l’existence d’un tel marché des drogues. Les stratégies de certains laboratoires ont rendu un grand nombre de personnes dépendantes aux opioïdes qui n’ont pas toujours la possibilité de s’approvisionner de manière légale et font donc appel à des dealers.
La prohibition de l’alcool aux États-Unis de 1920 à 1933 via le Volstead Act a eu plusieurs effets notables Hall, W. (2010). What are the policy lessons of National Alcohol Prohibition in the United States, 1920–1933?. Addiction, 105(7), 1164-1173. https://doi.org/10.1111/j.1360-0443.2010.02926.x :
Les gangs, et le crime organisé en général, existaient bien entendu avant la prohibition. Mais l’entrée dans le trafic d’alcool a significativement augmenté leurs capacités économiques et donc leur développement. De manière générale, le trafic de drogues est simplement bien plus rentable que le racket, le vol ou les arnaques en tous genres. Couper ce financement aux organisations criminelles est un moyen efficace de lutter contre elles, et un moyen efficient – aussi beaucoup plus rentable économiquement pour la société – semble être la légalisation, que l’on peut penser de bien des manières.
La France ne fait pas exception et voit sur son territoire les mêmes phénomènes qu’ailleurs. Les français consomment énormément de drogues différentes, légales comme illégales. Et puisque mener une guerre contre un objet inanimé, plutôt abstrait que concret, est parfaitement inutile, la guerre se transforme vite en une guerre contre « les drogués » et contre les trafiquants.
La France a signé et ratifié les trois conventions des Nations Unies (de 1961, 1971, 1988) réglementant le régime juridique des stupéfiants et des substances psychotropes. La législation française ne fait pas de distinction entre les produits et le contexte d’usage (dans un lieu public ou privé).
La législation française sur les stupéfiants (lois du 31 décembre 1970 et du 5 mars 2007) repose sur deux axes :
Le législateur a en outre choisi d’aggraver les peines lorsque certains actes (par exemple des actes de violence) sont commis sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants et/ou en état d’ivresse manifeste.
S’agissant de l’usage, qu’il s’agisse de cannabis, d’ecstasy, de cocaïne ou toute autre substance psychoactive illicite, l’usage est un délit puni d’une peine maximale de 1 an d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende (article L3421-14 du code de santé publique).
Depuis 2019, en vertu de l’article L.3421-1 du code de la santé publique, l’usage illicite de stupéfiants peut donner lieu à une amende forfaitaire. Ainsi, une personne interpelée en train de consommer des stupéfiants ou en possession de petites quantités, peut recevoir une amende forfaitaire de 200 euros délivrée immédiatement par les forces de l’ordre. Le paiement de cette amende met fin à toute poursuite judiciaire.
Au titre de l’alternative aux poursuites ou à titre de peine complémentaire, l’usager même mineur peut être amené à suivre à ses frais un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants, ou à se soumettre à une mesure d’injonction thérapeutique qui consiste en des soins ou en une surveillance médicale. Des structures spécialisées – Consultations jeunes consommateurs (CJC) et Centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) – assurent ainsi la prise en charge sanitaire et sociale de ces usagers.
La stratégie répressive actuelle vise les consommateurs en se basant sur cette logique que le trafic existe essentiellement parce qu’il y a une demande. C’est parfaitement logique d’un point de vue prohibitionniste et répressif, mais l’est beaucoup moins dès qu’il s’agit d’observer ce phénomène sous le prisme de la santé publique et des faits scientifiques et historiques. De plus, il suffit d’observer les dernières décennies de répression pour constater que la guerre contre les drogues – et les drogués – ne fonctionne pas, si tant est que l’objectif soit réellement une amélioration de la santé publique telle que prônée par l’État.
Stratégiquement, il est aussi plutôt sensé de viser la clientèle plus visible et atteignable que les membres et organisateurs des différents trafics, dont les chefs ne résident souvent même pas en France. Un réseau sans client peut difficilement survivre financièrement sur la durée, surtout si il y a de la concurrence qui subit moins les attaques de l’État. Cependant, nous ne pouvons que constater que cette méthode ne marche pas du tout pour assécher les trafics et empêcher les consommateurs et consommatrices de consommer.
Les autorités publiques établissent un lien direct entre les consommateurs et les violences générées par les trafiquants, dont l’exemple le plus médiatique est celui de Marseille avec le conflit opposant la DZ Mafia et le clan Yoda. Cependant, ils oublient qu’une grande partie des consommateurs ne passe pas par ce type de réseaux, mais passe soit par de la production personnelle (comme avec le cannabis ou les champignons hallucinogènes) ou par internet en commandant sur des sites semi-légaux (le fameux marché gris des NPS).
D’autres personnes encore sont des « usagers-revendeurs » comme les appelle la sociologue Sarah Perrin dans un article sociologique de 2023 Perrin, S. (2023). Vulnérabilités et capacités d’agir liées au genre dans l’usage et la vente de drogues. Une analyse des relations entre police et usagères-revendeuses insérées socialement à Bordeaux. Champ pénal/Penal field, (28). https://doi.org/10.4000/champpenal.14543 .
« La plupart des interrogés a revendu des drogues. Les trois drogues les plus revendues que sont le cannabis, la MDMA/ecstasy et la cocaïne, sont aussi les trois substances les plus consommées par les interrogés, ce qui n’est pas étonnant puisque les participants ont des pratiques d’usage-revente. En effet, les usagers vendent des drogues pour financer leurs propres usages en misant sur l’effet discount (Ben Lakhdar, 2012) : plus ils achètent une quantité importante auprès de leur dealer, moins le coût à l’unité est élevé […]. »
On commence à entendre parler de « mexicanisation du pays », mais nous sommes bien loin des chiffres surréalistes de la violence au Mexique liée aux cartels. Pour autant, même si cet élément de langage est assez ridicule, il est vrai que de nombreux jeunes sont enrôlés et que le niveau de violence semble avoir dépassé celui de l’époque de la French Connection dans les années 1980. Les logiques de territoires Davies, S., Engström, G., Pettersson, T., & Öberg, M. (2024). Organized violence 1989–2023, and the prevalence of organized crime groups. Journal of Peace Research, 61(4), 673-693. https://doi.org/10.1177/
00223433241262912 de ces groupes criminels armés et bien organisés font que les territoires occupés le sont au détriment des populations habitant au même endroit, subissant le pouvoir exercé sur eux.
Le trafic de drogues constitue donc bien un problème complexe, quoi que l’on pense de ses origines et de qui serait le principal coupable aujourd’hui. Nous sommes aujourd’hui engagés dans un cercle vicieux ou la violence appelle à la violence, qui est instrumentalisée médiatiquement et politiquement pour maintenir l’interdiction des drogues et accentuer l’appareil répressif de l’État.
La France, même si elle s’inscrit dans une logique répressive et prohibitionniste plutôt partagée dans le monde (mais de moins en moins notamment sur la question du cannabis), possède des particularités que met en avant Alexandre Marchant, historien, dans son livre L’impossible prohibition.
« L’originalité du modèle français réside dans une loi hybride qui ne sait trancher clairement entre le volet répressif et le volet sanitaire. Mais deux autres traits hexagonaux méritent d’être relevés. Tout d’abord, le contraste entre la rigidité de la loi et la souplesse – relative – de son application. La loi de 1970 a posé le problème de la toxicomanie en termes de « fléau social », ce qui s’inscrit dans une certaine tradition de la République où les intérêts individuels doivent être subsumés à l’intérêt général, où ce qui menace le lien social constitutif du pacte républicain doit être combattu, où le modèle de la citoyenneté efface toute revendication catégorielle prononcée. Par sa fermeté dans l’énoncé de l’interdit, la loi a une fonction symbolique très forte, ce que confirme la difficulté de la réformer. Ce caractère martial est encore accentué par la centralisation, héritage jacobin, qui confie aux administrations centrales l’essentiel du pouvoir de décision, tandis que les collectivités locales et les municipalités ont peu de possibilités d’action. »
La loi de 1970 détermine qu’une consommation est soit un problème médical (parce que venant d’une addiction/dépendance), soit un délit (parce que venant d’une « simple » envie de consommer). Mais l’émergence de cette loi, en plus de faire suite à un décès instrumentalisé notamment par des organisations religieuses, est dans la continuité d’une volonté politique de contrer une jeunesse de gauche émergente à laquelle on associait la consommation de psychédéliques.
« De même, dans le cas français, l’hypothèse d’une volonté de la majorité gaulliste de régler ses comptes avec la jeunesse gauchiste quelques mois après Mai 68 à l’occasion du débat sur le renforcement de la législation anti-drogue en 1969-1970 ne doit pas être balayée d’un revers de main. Lors des discussions sur la nouvelle loi, certains parlementaires avaient ainsi pointé le risque que les perquisitions de nuit, un temps évoquées dans le projet de loi, puissent être utilisées par la police du ministre Raymond Marcellin pour investir des locaux appartenant à des associations gauchistes, sur la base du simple soupçon de recel de drogue: «Je n’ai aucune tendresse contre ceux qui se rendent coupables de reconstitution de ligues dissoutes ou qui vendent et stockent des journaux de la «gauche prolétarienne». Mais il ne serait pas concevable que l’on utilise ce texte – qui est parfaitement normal dès lors qu’il s’agit de rechercher les preuves de délits qui sont abominables vis-à-vis de notre jeunesse – notamment pour procéder à une visite domiciliaire ou à une constatation, sous prétexte que l’on cherche des fumeurs de marijuana, alors qu’en réalité on cherche à atteindre une autre catégorie de délinquants. Cela me paraît critiquable»11. »
A cela nous pouvons ajouter ce qui était déjà en marche depuis quelques années pour diaboliser le LSD. L’historienne Zoë Dubus a publié un article Dubus, Z. (2021). Le traitement médiatique du LSD en France en 1966: de la panique morale à la fin des études cliniques. Cygne noir, (9), 36-62. https://doi.org/10.7202/ 1091460ar sur la panique morale montée de toute pièce qui a mené à la fin d’essais cliniques utilisant le LSD comme outil thérapeutique.
« Nous avons déjà évoqué les exagérations d’Escoffier-Lambiotte au sujet des hospitalisations liées à la prise de la substance, ainsi que celles du docteur Bensoussan à propos du nombre de consommateur·rice·s de LSD. Des médecins sont d’ailleurs condamnés aux États-Unis pour avoir diffusé dans la presse de fausses affirmations concernant des accidents dus au psychotrope, comme ce directeur du Bureau des aveugles de l’État de Pennsylvanie, qui affirme en 1968 que six étudiant·e·s ont été frappé·e·s de cécité totale et permanente pour avoir longuement fixé le soleil après avoir pris du LSD. L’histoire est immédiatement reprise dans un article du Monde. À la suite d’une enquête de police qui découvre la supercherie, le docteur déclare avoir agi de la sorte parce qu’il était inquiet de l’usage croissant de la substance par les adolescent·e·s. Cette fois, Le Monde ne publie qu’un démenti de quelques lignes, qui n’a évidemment pas l’impact de l’article original. On peut en effet le constater au vu des débats à l’Assemblée nationale française lors du vote de la loi de 1970, qui reprennent cette affaire d’étudiant·e·s rendu·e·s aveugles. Le célèbre neuropsychiatre Henri Ey, dans un de ses ouvrages de référence sur la psychiatrie, cite à son tour ce cas, et nous avons pu constater lors de nos différentes interventions dans des colloques médicaux à quel point cette légende était toujours vivace chez les membres du corps médical actuel. »
L’exemple français a de nombreuses similarités avec ce qui s’est passé et se passe encore aux États-Unis. Il n’est pas absurde de penser que l’épouvantail de « la drogue » est un outil efficace pour réprimer des populations : les jeunes politisés, les minorités… Cela permet de plus facilement perquisitionner des domiciles et des locaux de rassemblement politique, d’exercer un contrôle social fort et arbitraire, et de dénoncer publiquement des personnes pour la seule et unique raison qu’ils consomment. La politique actuelle sur les drogues est donc avant tout un outil de contrôle qui n’a pas nécessairement pour objectif final une meilleure santé publique.
Les drogues, les usages qui en sont faits, et les consommateurs et consommatrices portent aujourd’hui une image négative, un stigma, renforcé notamment et de plus en plus par l’association qui en est faite avec le trafic violent. La machine répressive est assez peu capable de nuances, et le seul usage qui serait à peu près toléré – et sous certaines conditions très restrictives – serait celui qui contraint la personne dans une situation de dépendance.
De nombreuses violences se superposent dans cette réalité de circulation des drogues. Des gens s’entretuent pour avoir une part du gâteau plus importante ; les personnes qui achètent sont inquiétées par la justice et subissent des propos ainsi que des gestes dégradants ; de nombreux policiers souffrent du fait de devoir investir une grande partie de leur temps à cette question des contrôles au lieu de remplir des missions plus importantes pour la sécurité publique et le bien-être collectif…
Une grande énergie est déployée pour empêcher les drogues de circuler et d’être consommées, mais pour quelle efficacité sur le plan social et économique ?
Guerra-Doce, E. (2015). Psychoactive substances in prehistoric times: examining the archaeological evidence. Time and Mind, 8(1), 91-112.
Froese, T., Guzmán, G., & Guzmán-Dávalos, L. (2016). On the origin of the genus Psilocybe and its potential ritual use in ancient Africa and Europe. Economic Botany, 70, 103-114.
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Tushingham, S., & Eerkens, J. W. (2016). Hunter-gatherer tobacco smoking in ancient North America: current chemical evidence and a framework for future studies. Perspectives on the archaeology of pipes, tobacco and other smoke plants in the ancient Americas, 211-230.
Manhica, H., Straatmann, V. S., Lundin, A., Agardh, E., & Danielsson, A. K. (2021). Association between poverty exposure during childhood and adolescence, and drug use disorders and drug‐related crimes later in life. Addiction, 116(7), 1747-1756.
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