Cette notion est fondamentale dans la consommation de substances psychoactives. C’est le concept que l’on pourrait résumer au fait d’être au bon endroit, au bon moment, et bien entouré. Il est très rare (si ce n’est impossible) qu’une drogue ait systématiquement et exactement les mêmes effets ou la même durée à chaque fois. Qu’est-ce qui influence notre expérience psychoactive ? La réponse peut être exprimée simplement, mais amène énormément de questions bien plus complexes à décortiquer…
Les drogues sont toutes différentes, certaines sont plus uniques que d’autres. Il est intéressant de connaître les données propres à chacune pour anticiper leurs effets.
Le “set”, c’est l’état dans lequel on se trouve, mentalement et physiquement. Cet état est plus ou moins variable en fonction des gens.
Le “setting”, c’est tout ce qui compose le contexte de la consommation. Le côté social, l’endroit où on se trouve…
Ce qui influence notre expérience psychoactive est donc la rencontre entre ces éléments : l’effet de la drogue sur notre corps, notre “set” avant/pendant la consommation et enfin le “setting” tout le long de la consommation. Mais s’arrêter à ces simples informations, c’est pas terrible pour comprendre plus en détail le pourquoi du comment.
"La pharmacocinétique est l'étude qui couvre le dosage qui entre, où il va et comment il arrive là, quelles sont les concentrations, comme la concentration augmente et comme elle s'effondre : c'est le mouvement de la drogue. La pharmacodynamique est la relation entre la concentration (la dose) et l'effet de la drogue."
Alexander Shulgin, The Nature of Drugs Vol.1, p. 109
La drogue consommée procure des effets, mais on sait qu’en fonction des gens, il y a de la variabilité dans ces effets ressentis. Pourquoi ?
Plusieurs notions sont importantes pour comprendre cela. Tout d’abord, une drogue peut rentrer dans le corps de diverses manières, ce qui influence sa rapidité d’action et peut donc être ressentie plus ou moins comme intense par ce simple fait. C’est la pharmacocinétique.
Ensuite, l’action de la drogue est plus ou moins différente selon sa nature et la biologie des personnes : quel récepteur est ciblé par la drogue ? Dans quelle partie du cerveau se trouvent les récepteurs ciblés ? C’est la pharmacodynamique.
Bien que nous soyons tous différents, il est tout de même normal d’attendre qu’une drogue ait grosso-modo les mêmes effets sur les différentes personnes qui la consommeront. Avec ça en tête, il faut prendre en compte que certaines différences génétiques modifient la métabolisation d’une drogue, et aussi que la voie d’entrée de la drogue a une importance toute particulière. Par exemple, avaler une drogue nécessite qu’elle passe par l’estomac et que le foie en fasse quelque chose, alors que sniffer n’envoie pas la drogue sur la même route ce qui change la durée des effets, leur intensité, etc.
“La pharmacocinétique comprend les aspects de la pharmacologie allant de l’absorption, c’est-à-dire l’arrivée de composés exogènes dans la circulation systémique, à leur excrétion ou à celle de leurs métabolites par l’urine, principalement. Entre l’absorption et l’excrétion, il y a aussi la distribution de ces composés dans les différents tissus et compartiments de l’organisme, et la biotransformation ou le métabolisme de ces composés. En général, la voie d’administration de la drogue (orale, nasale, intraveineuse, entre autres) peut avoir un impact important sur la rapidité, l’intensité et la durée de ses effets. La cocaïne et le crack constituent un excellent exemple pour illustrer l’impact de la pharmacocinétique sur l’effet final d’une drogue.”
De Micheli D, Andrade ALM, Reichert RA, Silva EA da, Pinheiro B de O, Lopes FM, eds. Drugs and Human Behavior (chapitre 8) : biopsychosocial aspects of psychotropic substances use. Cham: Springer International Publishing, 2021: 243–60.
“La pharmacodynamie est le domaine de la pharmacologie qui étudie les effets que les drogues induisent dans notre corps. Comme indiqué dans l’introduction, l’effet immédiat de la plupart des drogues d’abus est l’augmentation rapide des niveaux de dopamine dans le système de récompense. Cependant, chaque drogue agit différemment pour induire cet effet. Certaines agissent directement sur le noyau accumbens, où se trouvent les terminaisons des neurones dopaminergiques. Par exemple, la nicotine active des récepteurs de la famille des canaux ioniques (appelés récepteurs nicotiniques) situés dans les terminaisons des neurones dopaminergiques. Une fois activés, ces récepteurs stimulent la libération rapide de la dopamine stockée dans les terminaisons, générant une sensation de plaisir. La cocaïne, en revanche, a une action différente : elle est extrêmement puissante pour inhiber le processus de recapture, c’est-à-dire l’élimination de la dopamine de la synapse. Ainsi, une fois libérée, la dopamine reste plus longtemps dans la fente synaptique, ce qui renforce son effet gratifiant.”
De Micheli D, Andrade ALM, Reichert RA, Silva EA da, Pinheiro B de O, Lopes FM, eds. Drugs and Human Behavior (chapitre 8) : biopsychosocial aspects of psychotropic substances use. Cham: Springer International Publishing, 2021: 243–60.
On ne peut jamais tout prévoir, mais s’intéresser à ces aspects lorsque c’est possible nous garantit un minimum de sécurité physique et psychologique lorsque l’on souhaite consommer. Savoir à quoi s’attendre, ce que ça fait sur le corps, c’est le point de départ pour un bon Set & Settings, auquel nous arrivons tout de suite !
"Dans les années 1950, certains membres de la communauté médicale ont commencé à reconsidérer la méthodologie appliquée aux psychothérapies au LSD. Les psychiatres qui s'auto-expérimentent racontent généralement des expériences très positives, qui se déroulent souvent à leur domicile ou dans leur cabinet, des espaces accueillants et confortables. Ils étaient libres d'aller et venir, de faire ce qu'ils voulaient, et avaient une connaissance théorique préalable du LSD, de ses effets et de leur durée. Si les récits des auto-expérimentateurs mettent en avant l'état d'euphorie, ce n'est pas le cas dans les expériences menées sur leurs patients, qu'ils soient sains ou malades. Dans ces cas, les personnes ressentaient de l'anxiété, voire de la terreur. Face à ces résultats, certains thérapeutes ont tenté d'améliorer les protocoles, remettant ainsi en cause les pratiques psychiatriques."
Dubus, Zoé. (2020). Women's Historical Influence on 'Set and Setting'. Chacruna.
Le “set”, ou l’état mental et/ou physique dans lequel on se trouve est d’une grande importance dans l’expérience de la consommation. Très souvent rattaché aux psychédéliques, la notion de Set & Settings peut s’appliquer à chaque drogue, mais il est vrai que certaines sont plus sensibles que d’autres à notre anticipation de la consommation.
Par exemple, les psychédéliques ont un effet important sur la manière dont notre monde mental nous apparaît, et ne pas être à l’aise avec ce genre d’effets peut apporter plus de mal que de bien.
Typiquement, il est souvent recommandé aux personnes “fragiles” psychologiquement d’éviter ce genre de substances sans accompagnement.
De plus, il existe des différences de métabolisme entre les personnes, ce qui rajoute une couche de complexité dans la compréhension des réactions diverses et variées entre individus.
Pour avoir un bon “set”, il est donc particulièrement important d’être honnête avec soi-même et d’être au clair sur ce qu’il se passe dans notre tête et notre corps plus largement. Se poser la question “pourquoi je consomme telle drogue ?” nous éclaire sur notre propre comportement. Il n’y a pas de mauvaise réponse à cette question, mais la réponse nous donne des indications et nous permet de savoir si on le souhaite vraiment ou pas.
“L’hypothèse de l’ensemble (set*) et du cadre (setting*) soutient fondamentalement que les effets des drogues psychédéliques dépendent avant tout de l’ensemble (la personnalité, la préparation, les attentes et l’intention de la personne qui fait l’expérience) et du cadre (l’environnement physique, social et culturel dans lequel l’expérience a lieu). Bien que le concept de set et de setting soit né de la recherche sur les psychédéliques et qu’il semble particulièrement applicable dans ce domaine, il s’est également avéré utile pour les chercheurs qui ont étudié les effets de divers stimulants, dépresseurs et antipsychotiques tels que l’alcool, l’héroïne, le méthylphénidate, la méthamphétamine, la cocaïne et le crack. En réalité, les recherches actuelles suggèrent que les effets non pharmacologiques sont responsables d’une grande partie, voire de la majorité, des bénéfices thérapeutiques d’une variété de traitements médicamenteux reconnus.”
Hartogsohn, I. (2017). Constructing drug effects: A history of set and setting. Drug Science, Policy and Law, 3, 2050324516683325.
“L’ensemble (set*) est compris comme tout ce qui est lié à l’état interne d’une personne, y compris la personnalité, la préparation à l’expérience, l’intention, ainsi que “l’humeur, les attentes, les peurs, les souhaits.”
Hartogsohn, I. (2017). Constructing drug effects: A history of set and setting. Drug Science, Policy and Law, 3, 2050324516683325.
"L'étude de la manière dont les effets des drogues sont façonnés par des paramètres sociaux et culturels est essentielle pour élaborer des stratégies efficaces de réduction des dommages et une politique plus efficace en matière de drogues, qui réduirait les dommages causés par les drogues et permettrait l'émergence de modes de consommation de drogues plus bénéfiques."
Hartogsohn, I. (2017). Constructing drug effects: A history of set and setting. Drug Science, Policy and Law, 3, 2050324516683325.
Le setting est peut-être le paramètre que l’on peut le mieux maitriser. Il s’agit du contexte social dans lequel s’effectue la consommation.
Avec qui on consomme ? A quel endroit ? Est-ce qu’il y a ce qu’il faut autour en cas de souci ? Est-ce que je peux contacter quelqu’un au cas où ? Est-ce qu’on me force à consommer d’une manière ou d’une autre ? Est-ce que si je ne consomme pas j’aurai droit d’exister dans ce groupe ?
La pression sociale, le consentement, pouvoir s’amuser sans drogue (légale ou non, d’ailleurs), la confiance… toutes ces notions sont extrêmement importantes pour avoir de bonnes conditions durant la consommation.
“Certaines des preuves les plus convaincantes du rôle des facteurs sociaux dans la consommation de drogues peuvent être tirées d’études épidémiologiques examinant le taux de concordance de la consommation de drogues parmi les membres de groupes de pairs. Ces études ont systématiquement révélé que l’un des facteurs les plus fiables pour prédire si un adolescent ou un jeune adulte consommera de la drogue est le fait que ses amis en consomment. Ces résultats suggèrent que les facteurs sociaux proximaux (c’est-à-dire les facteurs immédiatement présents au moment de la consommation de drogues) peuvent être aussi importants, voire plus importants, que les facteurs sociaux distaux (c’est-à-dire les facteurs présents dans l’environnement social plus large d’un individu, mais qui peuvent ne pas être immédiatement présents au moment de la consommation de drogues) pour déterminer si un individu va consommer et abuser d’une drogue particulière. Chez les adolescents, par exemple, la pression sociale exercée par l’ami d’une personne qui offre de la drogue lors d’une fête (influence proximale) peut être un déterminant beaucoup plus fort de la consommation de drogue que les conseils des parents ou les initiatives de sensibilisation de la communauté qui mettent l’accent sur l’engagement social dans le contexte d’un mode de vie fondé sur l’abstinence (influences distales).”
Strickland, J. C., & Smith, M. A. (2014). The Effects of Social Contact on Drug Use: Behavioral Mechanisms Controlling Drug Intake. Experimental and clinical psychopharmacology, 22(1), 23.
“Une fois établis, un certain nombre de mécanismes peuvent servir à maintenir la consommation de drogues au sein d’un groupe de pairs. Le renforcement social comprend les effets de renforcement primaires du contact social, mais aussi divers mots et actions qui sont dirigés d’un individu à l’autre sous la forme d’attention, d’éloges et de gestes non verbaux. Il est bien établi que les animaux apprennent une réponse opérante qui n’est renforcée que par la possibilité d’interagir avec un autre animal.”
Strickland, J. C., & Smith, M. A. (2014). The Effects of Social Contact on Drug Use: Behavioral Mechanisms Controlling Drug Intake. Experimental and clinical psychopharmacology, 22(1), 23.
Cela peut sembler être beaucoup de choses à retenir, mais une fois qu’on a l’habitude de faire attention à certaines de ces notions, cela devient plus facile. L’habitude peut être mauvaise comme bonne, la difficulté est de passer de la première à la deuxième.
Vous pouvez déjà commencer par vous inspirer des principes de réduction des risques proposé sur ce site, afin d’avoir un point de départ dans votre démarche.